Regard curieux sur une capitale en MOUVEMENTS

°théâtre°danse°performances°musique°acrobaties°bruit°mots°


.

vendredi 18 juin 2010

"Le temps du hurlement est venu" - épitaphe

José Saramago est mort. Je le citais encore il y a un mois en parlant de Trust de Falk Richter. Parce que son discours, son écriture, son parcours étaient pour moi une survivance d'un monde et d'une pensée en voie de disparition, d'une classe et d'une intelligence qu'on ne vante plus, voire qu'on ringardise - être communiste en 20010 c'est pas un peu démodé?- un esprit qui allait de plus en plus à contre-courant, comme d'une autre époque mais incroyablement lucide et visionnaire. Lisez l'Evangile selon Jésus Christ, lisez la Lucidité, pour se souvenir pourquoi nous en sommes là aujourd'hui. José Saramago est mort. Reste de lui cette interview que je ressors souvent, que je relis souvent aussi parce qu'à l'époque je me disais que si un prix Nobel, un bourgeois en quelque sorte, que si un homme de 85 ans était encore capable de penser ça, alors moi je me devais de ne pas céder, de résister aux discours ambiants, ne pas accepter. José Saramago est mort. En épitaphe cette interview accordée au Monde en 2006 qui se terminait ainsi : "La vieillesse n'est pas une condition à la liberté, tout au contraire. Néanmoins, dans mon cas, après réflexion, j'en suis arrivé à la conclusion qu'elle m'a accordé effectivement plus de libertés. Ce qui m'a conduit à devenir plus radical comme l'illustre ce livre où j'ai mis d'ailleurs en épigraphe : "Hurlons, dit le chien." Ce chien, c'est vous, c'est moi, c'est nous tous. Jusqu'alors nous avons parlé, nous nous sommes exprimés sur de multiples sujets sans nous faire véritablement entendre. C'est pourquoi, il faut à présent hausser le ton. Oui, je crois que le temps du hurlement est venu."
Lire la suite...

jeudi 20 mai 2010

Trust - Le temps d'aboyer est venu

Les silhouettes se liquéfient sur les chaises. Impossible de tenir, ils glissent, corps mous sans prise sur le réel. "Et si je partais, cela ne changerait rien, Et si je restais, cela ne changerait rien..." égrène un acteur au micro. Finalement tombés de leurs chaises, les corps ne trouvent toujours pas l'équilibre, marchent, tombent, se retiennent les uns aux autres, puis s'effondrent, tendent une main pour être aidé, puis la bonne âme qui s'avançait fait volte face au dernier moment. "Oublie finalement tout ce que je viens de te dire (....) trop compliqué, ne changeons rien, laissons les choses comme elles sont". Les mots de Falk Richter, les mouvements chorégraphiés par Anouk Van Dijk disent l'impuissance. Rien ne sert à rien, la société nous dépasse, nous avale, aspire nos velléités, paralyse nos élans. Alors finalement “fais tes valises... et reste” crie t-il là bas. Non, rien ne sert de se séparer, rien n’est à remettre en cause continuons comme avant, malgré la crise et les dollars qui flambent aux quatre coins de la planète, malgré les frustrations et les incompréhensions. La pièce Trust a été créé au moment du crash boursier des Lehman & brothers. Un an après, en ces temps de débandade de l’euro et de tragédie grecque, Trust résonne encore plus fort.De lui j’avais déjà beaucoup aimé "Im Ausnahmezustand" où une famille se recroquevillait dans son délire sécuritaire, jusqu’au dessèchement. Falk Richter sera cet été invité à Avignon avec cette pièce et aussi celle montée par Nordey, Secret Garden. Allez découvrir cet auteur qui a la bonne idée de mettre ses textes en ligne, de communiquer sur ces projets, de donner toutes les portes d’entrée de son travail sur son site, dans une démarche non pas narcissique, mais ouverte. Falk Richter décrypte le monde tel qu’il va et l’issue est sans espoir. Et pourtant nous aimerions croire au tangible, à un ordre juste, à l'amour. Nous aimerions CROIRE. Mais non, nous voici en état d'inconfiance. Le texte scandé met en parallèle le capitalisme qui marche sur la tête et la relation de couple engluée dans son ordre bourgeois. Point commun : l’argent qui tient tout, ronge jusqu’à notre âme, gâche notre être ensemble, nous isole et nous met en compétition. Chronique désespérée et cynique d’un monde prêt à bousiller l’humain pour sauvegarder le marché, prêt à faire confiance aux valeurs virtuelles plutôt qu’au concret. Le plateau est immense, salement éclairé, des néons blancs, pas de coquetterie donc. C’est froid, inesthétique, interchangeable. Chaises et canapés noirs impersonnels structurent l’espace. Seule fenêtre colorée dans ce décor glacé, une pièce vitrée, tapissée chaudement qui s’illumine parfois au loin. Le texte sonne comme une litanie, les mots s’enchaînent se reprennent, phrases identiques et pourtant légèrement modifiées. Falk Richter joue dans l’incantation avec micro - jusqu'à nous perdre. D'où vient cette voix qui parle, où se cache le diseur. A jouer ainsi avec nos perceptions Richter brouille les genres, notre regard s'attache aux danseurs là-devant alors que la voix nous vient de derrière, cachée. L'important c'est le sens, et ce mouvement devant nous qui dit autant que le texte avec une musique techno, rock, qui déchire et accompagne. Rien de dansant, une sorte de mélodie triste qui dit la rage rentrée, l'acceptation. Alors oui hurlons dans le micro, puisque nous ne savons plus communiquer. Encore faut-il encore savoir comment crier. Ils sont tous là, les quatre danseurs, les cinq acteurs, serrés sur les canapés dans une thérapie de groupe pour enfin exprimer toute cette colère. “Allez aboie”, incite le coach. Un pauvre miaulement sort du gosier de la malheureuse. Impossible de sortir un cri, notre société nous a appris à encaisser sans rugir. Une jeune femme dit la vacuité d'une l’existence superficielle qu’elle promène sur Ku'damm, trompant l’ennui en s’achetant une robe Prada. Clin d'oeil à l'environnement de la Schaubühne, implantée en plein quartier bourgeois et clinquant. Ce ne sera pas le seul, Richter convoque les actualités berlinoises, les chaines de supermarché qui ferment, la mairie, les projets immobiliers, et même la RAF. La musique se dirige derrière un ebook, le DJ est enveloppé dans un blouson étriqué argenté, un personnage s'arrête au centre Pompidou siroter un latte machiato devant des vidéos. La pièce tournerait-elle en cercle fermé sur le milieu bobo artistique berlinois? Non, Richter dépasse ça, dépasse Berlin, dépasse son environnement et ses préoccupations d’artiste subventionné mal dans sa classe sociale. Avec Anouk Van Dijk, chorégraphe flamande avec qui il collabore pour la deuxième fois, il nous parle d'autre chose, d'un élan brisé dans la course effrénée de nos sociétés occidentales. Du sens qui se part. De l'urgence de créer. Ils sont beaux ces danseurs, ces acteurs, ce qui est beau c’est que tout se mêle, les danseurs éructent au micro, les acteurs s’écroulent à terre comme des serpents pris de frénésie. L’interprénétation des disciplines n’est pas feinte, ni revendiquée, elle EST sur scène, là devant nous. C’est d’une vitalité désespérée(-ante). Anouk Van Dijk déséquilibre les corps, ils tombent mais se relèvent, ils ne trouvent plus la bonne marche pour aller droit (et vers où?), mais ils s’agitent avec tant de rage, que ça en est touchant. Le spectacle est un peu trop long peut-être, comme un défaut de formatage, ou alors est-ce du à ce "work in progress", si cher à Ostermeier, ce temps de création qui prend son temps, qui laisse place à l'évolution, qui n'a jamais dit son dernier mot. Trust porte le sceau de la Schaubühne et de son directeur Thomas Ostermeier. C’est aussi ça que j’aime ici, cette signature d'un théâtre traversé par des préoccupations obsessionnelles que les artistes prennent le temps de mûrir, et puis ce jeu physique, cette manière d'être sur scène, qui n’appartient qu’à ce lieu, cette obsession de la bourgeoisie, du couple, de l'être ensemble. Un théâtre politique dans son propos et dans sa manière de se faire. A la fin de Trust, la salle s'emballe. Je suis moi aussi touchée par cette performance généreuse. Il ne nous reste plus qu’à méditer sur cet immobilisme, sur cette paralysie d’une époque incapable d’inventer de nouvelles idéologies. Le système nous broie, nous avançons sans confiance aucune, mais déployons encore une agitation vaine pour continuer à vivre. Puisque le sens se perd, essayons d’en mettre sur nos spectacles. On sort de cette pièce sans espoir, mais convaincus malgré tout qu'il nous faut continuer à aboyer, malgré tout. Cela me rappelle une interview magnifique de José Saramago lors de la sortie de son livre "La lucidité. En épigraphe de l’ouvrage on pouvait lire “Hurlons, dit le chien”. Pour Saramago c’était l’injonction, l’unique possibilité de s’en sortir tête haute”. “Ce chien, c'est vous, c'est moi, c'est nous tous. Jusqu'alors nous avons parlé, nous nous sommes exprimés sur de multiples sujets sans nous faire véritablement entendre. C'est pourquoi, il faut à présent hausser le ton. Oui, je crois que le temps du hurlement est venu."
Lire la suite...

lundi 17 mai 2010

Theatertreffen - La Dauerkolonie de Marthaler sent le renfermé

Samedi soir, en sortant des hangars de Tempelhof, je me dis que j'ai du mal à comprendre le succès de Christoph Marthaler. Artiste associé d'Avignon 2010, il y a déjà triomphé l'an dernier avec son RiesenBuztabach - eine Dauerkolonie. Sélectionnée pour ces Theatertreffen, cette pièce s'est installée le week-end dernier dans les hangars désertés du plus grand aéroport du monde, Tempelhof. J'ai souvenir que la poésie m'avait tenue éveillée pour Die Fruchtfliege, vue il y a deux ans à la Volksbühne. Cette fois-ci je trouve juste son univers sans surprise, et je m'y ennuie. En Allemagne ces tapisseries vieillottes, ces vêtements étriqués, ces meubles années 50 sont devenus à la mode. Cette esthétique n'a plus rien d'une douce ironie populaire qu'on trouve chez les Deschiens. Pour la première fois j'ai vraiment l'impression d'un décalage générationnel avec un metteur en scène, pourtant pas si vieux (la cinquantaine). Son monde m'est étranger, son petit ballet d'anti-héros du quotidien qui ne ressemble plus au mien me touche mollement.Peut-être étais-je trop loin perdue au 30e rang d'un gradin vertigineux. Je vois bien que tout le monde applaudit à la fin, que le charme a opéré, je regarde les visages, ils sont âgés.Le gigantisme de Tempelhof se mariait pourtant bien au décor signé Anna Viebrock, une maison/usine/pavillon/cité, à vous de choisir. Le lieu de tous nos quotidiens, sous l'inscription "Institut des entreprises de fermentation". Balcons, garages aux portes coulissantes, escaliers, salles vitrées, les acteurs évolent dans ce décor aux multiples facettes mais finalement très clos, étouffant. La pièce s'ouvre sur un tableau tout féminin. Des silhouettes de tous âges sont disposées ça et là au milieu de meubles épars, et attendent. Salle des ventes, magasin, bureau, appartement, en tout cas un lieu transitoire, en devenir - ou en pleine décrépitude. Ca sent le début et la fin d'un monde, on ne sait pas bien lequel. Un homme entre en scène, claque des bises à chacune et multiplie les mêmes explications vaseuses de son retard à sa maman/épouse/maîtresse. Il leur parle en français, elle n'y comprennent rien. Mais finalement peu importe ce qui se dit, et en quelle langue, ces échanges n'ont pas de sens, pas plus que les comptes des banques qui se vident et se remplissent au rythme éffréné de la (les) crise économique. Ces quelques conventions sociales du quotidien, sont tout ce qui nous reste d'un monde en déliquescence et on s'y raccroche pour croire encore en l'ordre du monde : un patron derrière son bureau vitré qui surveille, un employé de banque peu aimable derrière son comptoir, des hommes qui crient à leur femme de leur chercher des bières, des fêtes à cotillons qu'on organise dans le garage. Mais autour tout s'effrite, les meubles disparaissent les uns après les autres, les comptes se liquident, les héritages s'envolent, les patrons se déshabillent pour pousser la chanson. Durant les deux heures et demi de la pièce Marthaler semble regarder ses personnages s'affoler dans une cage ou un aquarium leur injectant une dose de "crise économique" et regardant ce qui se passe. Le ballet qu'il leur fait exécuter est dirigé avec méticulosité à tous les étages. Pas ou peu d'histoire, des situations qui éclatent, s'étirent souvent, des répétitions, des ballets qui tournent à la posture et tournent à vide - comme ce défilé de mode final en habits recyclés (il faudrait que Marthaler aille voir ce qui se fait en danse avec ce type d'idées, je pense notamment à Parades and Changes d'Anna Halprin, c'est tout de même autre chose). Impossible cependant de résister à cette bande d'acteurs fidèles, différents, non formatés, et surtout "pas jeunes". Ils vivent sous nos yeux tour à tour guignolesques, mesquins, petits, rêveurs. Mais leurs déplacements à quatre pattes, leurs va et vient entre les trois garages, leurs chorégraphies sur "Staying alive" transpirent le second degré bon marché. Les chorégraphies ne me font pas vraiment rire, le comique est facile, vu et revu.Le théâtre de Marthaler sent un peu le rance, comme le capitalisme qu'il attaque. Son théâtre de marionnettes chantantes ne m'amuse pas, voire m'ennuie. Quoi Bach et Schubert pour nous sauver des eaux entâchées de nappe de pétrôle du libéralisme triomphant? Je ne trouve aucune originalité dans cette proposition, aucune échappée, ni poétique, ni esthétique. Où se situe la modernité de ce spectacle? J'ai l'impression d'être loin de tout ça, et me souviens de l'émotion lundi dernier à la Schaubühne en découvrant Trust de Falk Richter - qui sera d'ailleurs à Avignon cette année. Dans sa critique de la crise économique, Richter développe bien d'autres énergies, même si ce sont celles du désespoir.
Lire la suite...

mercredi 12 mai 2010

Félix Ruckert - "L'idée de la douleur bienfaisante"

Wedding, le long des rives du canal. Au Nord de Berlin, un quartier populaire se transforme. Galeries, bars à la mode, espaces d’expositions dans des entrepôts industriels se succèdent. Au fond d’une cour, le Schwelle 7 se cache dans les étages : un loft à la berlinoise qui fait dans le sobre. Une grande salle lumineuse aux murs blancs, un beau lieu spacieux et zen. Et en même temps “excitant, un peu effrayant, attirant et très différent” rapporte la danseuse finlandaise Linda Priha dans un article pour un magazine finlandais. Sa réputation sulfureuse tient à son mélange unique de danse contemporaine et d’influence sado-masochiste. Ses deux fondateurs, le chorégraphe allemand Félix Ruckert et la danseuse Dasniya Sommer précisent “Nous ne sommes pas un lieu SM dans le sens habituel du terme. Malgré la radicalité de nos propositions nous essayons de préserver une ouverture et une flexibilité dans nos actes et nos pensées.” Moi j’y ai trainé à l’automne 2009, par hasard, suivant les pas d’une amie en stage là-bas. Rien qu’à la liste des stages et cours, on se doute qu'ici se jouent des choses différentes. BDSM & Performance, Yoga and japanese Bondage, Pain Processing, Konzeptuelle Orgie, Touch and Play festival... Depuis 2007 se retrouvent ici danseurs contemporains et performers de la scène SM, public néophyte et chorégraphes internationalement reconnus, adeptes du yoga et amoureux du travestissement, célébrations orgiaques et ateliers d’apprentissage de la douleur. En allemand Schwelle ne signifie t-il pas le “seuil”, la “traverse” ? A sa tête Félix Ruckert, chorégraphe allemand reconnu sur la scène internationale, qui a forgé ses armes à l’école de Pina Bausch, a dansé pour les plus grands. Puis il a voulu créer ses propres pièces et très vite le sexe est entré en jeu. Sa première pièce Cut, créée à Paris en 1992, fait scandale. Depuis, le chorégraphe est allé toujours plus loin dans son approche de la danse et de la douleur. Ces jours-ci (jusqu'au 15 mai) il présente dans son lieu sa toute nouvelle création "Lust und Lügen" - Plaisir et mensonges. Cet hiver j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec lui. “La douleur est une expression très rapide, directe, perçue directement par le cerveau. On est dans un moment direct de réflexion qui passe par la peau, le toucher. La pratique du SM c’est cette relation à la présence, qui induit une connexion avec le moment”. Mélanger pratiques BDSM et danse s’est petit à petit imposé à lui. “Le danseur est habitué à faire des choses avec son corps qui ne sont pas confortables, extrêmes. Parfois cela peut faire mal, le danseur est alors capable d’intégrer la chorégraphie en évitant d’endommager son corps. C’est un peu la même correspondance avec le SM qui joue avec la douleur de façon similaire. Les gens qui font du SM ne le font pas pour se faire du mal, c’est une question de dosage entre la simulation intense et l’agréable. On travaille autour de cette idée de douleur bienfaisante.” Dans l’une de ses dernières pièces Die Farm présentée au Schwelle 7 il met en scène trois corps de femmes suspendus à des cordes, soumis à des pincements, des frottements de peau, on constate les impacts, les traces de la douleur. Dasniya Sommer, est l’une d’entre elles. Venue du ballet classique (elle a dansé au Staatsballett de Berlin) et professeur yoga, l’ancienne ballerine a fait du Bondage japonais sa spécialité. Cofondatrice du Scwhelle 7 avec Felix Ruckert, elle explique à quel point la confiance et la maîtrise de soi joue un rôle important. “La confiance des deux côtés est indispensable. Être attaché signifie s’abandonner librement, accepter volontairement de devenir sans défense. Cela peut conduire la personne qui attache à des états divers, entre instincts de protection ou impulsions sadiques. Le but n’est pas d’éviter ces sentiments, mais plutôt de les intégrer dans le jeu.” Evidemment les créations de Félix Ruckert ne sont pas du goût de tous les programmateurs. C’est donc en partie parce que ses pièces ne trouvaient plus preneur dans le circuit traditionnel de la danse qu’il a ouvert le Schwelle 7 en 2007, sans le soutien des institutions, sans subvention.“Politiquement je commençais à m’ennuyer à essayer de vendre un “produit” spectacle sur le marché, et parfois à l’adapter à ce marché. Certains de mes spectacles n’entraient plus dans les salles normales. J’avais besoin d’un lieu propre. J’ai fait le choix de changer ma perspective, de moins voyager et d’inviter des gens chez moi, au Schwelle 7. Cela m’a permis une ouverture sur les autres techniques et pratiques. Dans ce lieu je peux à la fois montrer mon travail, et développer des nouvelles voies, des nouvelles idées”.
Son premier événement le festival X-Plore, était au départ financé par le Sénat de Berlin. Après une première édition en 2004 qui fait les gros titres de la presse à scandale allemande, les subventions sont retirées. Depuis le Schwelle 7 avance seul, sur ses fonds propres. X- plore existe toujours, la prochaine édition aura lieu en juillet. Il réunit chaque année près de 300 participants-spectateurs. A l’image du Schwelle 7, ici le spectateur ne l’est jamais vraiment, ceux qui viennent “voir” savent qu’ils auront aussi à “prendre part” ou du moins entrer dans le jeu. Même règle pour les soirées BDSM, les Play Party, organisées une fois par mois, les soirs de pleine lune. “Je vois ça plus comme des happenings, on fait attention à qui vient. Il y a beaucoup de mises en scènes, tout est un peu préparé. Les gens se créent des personnages, pour que les relations ne s’en tiennent pas aux conventions sociales habituelles. Quand il y a des gens nouveaux, je les avertis à l’entrée, s’ils ont l’air de comprendre l’état d’esprit, je demande à des gens habitués de les adopter pour la soirée. C’est un peu le principe d’une célébration, tout le monde partage pour créer quelque chose, comme une improvisation”. Il est d’ailleurs obligatoire de se déguiser si l’on souhaite participer aux soirées, et des panoplies sont à louer à l’entrée. Aujourd’hui la salle rencontre son public, la programmation est intense, des artistes venus du monde entier viennent y faire des stages, comme le chorégraphe et danseur anglais Julyen Hamilton, un ami de Félix Ruckert qui est revenu pour la troisième année en décembre. A presque 50 ans le chorégraphe a conservé beaucoup d’amis dans la scène de la danse contemporaine, en janvier dernier avant une participation au festival Faits d'Hiver il était à Paris pour un stage avec la chorégraphe octogénaire américaine Anna Halprin. “Le Schwelle 7 touche du monde, des gens différents. Mais la plupart sont des danseurs, même si beaucoup dans le milieu contestent ce lieu. Ceux qui viennent ont une grande ouverture d’esprit, ils ont envie d’expérimenter des émotions et la physicalité des gens du SM.” Pour ces derniers, venir au Schwelle 7 c’est aussi sortir de l’intimité habituelle du jeu SM. “Lors des ateliers, ils sont souvent effrayés par la promiscuité avec d’autres personnes. Ils ne sont pas forcément préparés à se confronter à des partenaires qu’ils ne connaissent pas. Les danseurs ont une distance vis à vis de l’émotion que les personnes venus du SM n’ont pas. Pour eux n’y a pas de distance entre l’action et l’émotion et c’est une force je trouve”. Félix Ruckert se définit “absolument” comme un pionnier de la rencontre entre scène artistique et scène BDSM. Même s’il constate qu’en Allemagne il y a de plus en plus de gens qui partagent leurs pratiques, leurs propres univers. “Ca fait dix ans que le BDSM commence à aller vers un public, il y a de plus en plus de lieux, de bars, de cours”. D’autant plus à Berlin, ville tolérante, déviante par excellence, très ouverte aux sexualités alternatives.En avril l’une de ses pièces les plus connues, Secret Service, était rejouée à Berlin au Schwelle 7 et au Havre. Une pièce où, yeux bandés, les spectateurs s’en remettent au savoir-faire des danseurs dans une communication des corps tactile. Avant la représentation, quelques règles sont énoncées "au niveau 1, vos yeux seront bandés. Mouvement, plaisir des sens et communication" sont les moteurs de ce premier niveau. (...) Vous ne pourrez participer au niveau 2 que si vous avez réussi le précédent. En plus des yeux bandés, vos mains seront attachées. Nous vous demanderons d’enlever le plus de vêtements possible pour permettre un accès optimal à votre peau.(...) Le niveau 2 se concentre sur l’expérimentation de la douleur corporelle et de la soumission.(...) La participation à "Secret Service" est à vos propres risques et périls”. La fréquentation du Schwelle 7 aussi.
Lire la suite...

Volksbühne - Fuck off America, ce blog lui doit bien ça

Quatre bonne raisons de parler aujourd'hui de Fuck Off America :
1. ça se joue ce soir à la Volksühne.
2. Ce blog lui doit bien ça, s'abritant depuis ses débuts derrière son nom et la façade provocatrice d'un OST theater, comme une trace nostalgique d'un esprit alternatif berlinois en perdition.
3. Il y a deux ans avec cette pièce je découvrais la Volksbühne, Frank Castorf, ravie de voir qu'on pouvait aller au théâtre sans comprendre un mot de la langue.
4. Au moment où la pièce sortait à Berlin, le magazine XXI se lançait. Dans son premier numéro l'écrivain Emmanuel Carrère traçait un portrait ciselé et littéraire d'Edouard Limonov, l'auteur de Fuck Off America. L'article est à lire ici.
Donc, pour la Volksbühne, même si récemment rénovée et toujours aussi désespérément désertée, et pour fêter un peu la renaissance printanière de Berlin sur Scène, j'ai fouillé dans mes notes de l'époque, griffonnées sur un cahier comme on faisait avant. Je vous les livre ici.
6 mars 2008. Totalement par hasard j'ai lu il y a deux jours le long et très bel article d'Emmanuel Carrère sur Edouard Limonov paru dans le 1er numéro de XXI. Hier encore j'ai ignorais totalement l'existence. Et voilà que ce soir je suis allée voir une pièce tirée de son roman et de son expérience de l'exil new yorkais (pour cause d'expulsion d'URSS au début des années 80). Limonov c'est un parcours de poète maudit,
d'écrivain d'avant-garde lors de son exil parisien qui durera dix ans, de révolutionnaire rouge-brun. A son retour en Russie les choses se politisent, il fonde le parti national-bolchéviste, c'est gros bras, argent douteux, pas peur de la bagarre ni de la confrontation à Poutine. Ca finit quand même dans les geôles. Frank Castorf, patron de la Volksbühne, n'aime rien tant que de se frotter aux personnages à la marge, aux politiquement incorrects, aux personnages douteux et poisseux, aux rebuts de la société. Est-ce pour ça qu'il a préféré jeter Goethe aux oubliettes (il devait monter Faust et deux semaines avant les premières représentations fait parvenir à la presse un dossier de presse Fuck off Goethe et annonce son adaptation de Limonov) et s'attaquer à du méchant, braillard, nauséeux? ébauche, exil, frustration, sexe, premiesr écrits, poésie, vie sombre, du pain bénit pour le metteur en scène. C'est ma première fois avec Castorf, je m'attendais aux ris et au trash. Et je n'ai pas été déçue. Théâtre physique, on éructe, on se délecte des mots crus qu'on crache à la figure, pourquoi pas avec nourriture, on mime la fornication, on bouffe, on bafffre, on crache, on crie, on chante. Avec mes trois mots d'allemand je ne comprends rien mais la rage de Limonov passe, le désespoir de l'exil aussi. Le décor tourne encore. La première a eu lieu hier, et aujourd'hui la salle est à moitié vide. Mais les présents, des jeunes surtout, sont très présents. Applaudissements, rires, cris, manifestations d'enthousiasme, j'ai rarement vu un public aussi impliqué. Je suis contente d'être là au milieu d'eux, j'ai l'impression d'être invitée à une fête où je ne connais personne mais où les gens me sont a priori sympathiques. je me dis qu'il est réjouissant de voir ce genre de spectacles volontairement vulgaire, violent, de mauvais goût, sur l'une des scènes culte de Berlin. La bourgeoisie, on lui crache dessus, on se fout des salles pleines, même quand on s'appelle Castorf et qu'on a plus de soixante ans, on s'en fout des p'tits fours et des soirées de première m'as tu vu. On préfère faire hurler un public jeune dans une salle moitié vide.
Depuis mars 2008, je suis souvent revenue à la Volksbühne et n'ai jamais retrouvé cette folie de la première fois. Mais je ne suis jamais allée revoir Castorf. Pollnesh, Meg Stuart, Marthaler, Gotscheff surtout. La salle est souvent dépeuplée à part pour Dimiter Gotscheff. Dimanche soir j'y étais encore pour une création maison avec la chorégraphe Wanda Golonka. On devait être soixante, pas plus, la première avait eu lieu quelques jours auparavant. La Volksbühne a beau avoir ravalé sa façade on sent que les années Castorf - à sa tête depuis 1991 et pas décidé à partir malgré les vague de haine qu'il soulève dans la presse - l'ont marqué. Sur cette belle et large scène arrondie, dans les couloirs marbrés, derrière les vitres, l'heure est au désamour. Et pourtant il n'y a pas si longtemps on criait au génie.
"Dans les trois ans, réputé ou mort" voici la formule légendaire que trouvèrent quelques hommes de théâtre responsables de l'Est de l'Ouest en confiant la direction de la Volksbühne à Frank Castorf en 1991. Depuis 12 ans maintenant, le dernier révolutionnaire de théâtre que la RDA ait produit règne dans cette forteresse à la lisière du quartier artistique au centre de Berlin"... Il est passé de l'excentrique outsider dont le travail était jugé scandaleux, à la position de maitre absolu de toutes les classes. Il a fissuré le mur du jeu traditionnel psycho-réaliste qui était de règle sur les scènes allemandes jusqu'aux années 90. Tous ceux qui arrivèrent après lui ne pouvaient pas faire autrement que de s'orienter à partir de lui... le fait qu'un fils de gérant de quincaillerie devienne directeur de la Volksbühne fut le début d'une réorganisation du paysage théâtral berlinois". Nikolaus Merck dans Alternatives théâtrales.
Aujourd'hui je garde toujours une espèce d'affection pour ce grand bateau à la dérive.
Lire la suite...

Theatertreffen - Jack Lang, Sekt und Kasimir

Peut-on vraiment faire confiance à un festival qui s'ouvrirait sur un discours de Jack Lang en allemand dans le texte devant un parterre d'huiles ébahies? Les theatertreffen, ou tt pour les initiés, ont débuté vendredi soir. Le rendez-vous allemand de l'année, l'institution, un peu leur Avignon à eux, à la différence que les tt privilégient les productions germanophones. On s'y repait pendant presque quinze jours d'un pot pourri des dix meilleures pièces de l'année choisies par un jury de critiques et de personnalités du théâtre parmi les 400 productions annuelles. Seul ovni cette année dans ce nec plus ultra du deutsches Theater, le Nature Theater of Oklaoma et ses new yorkais frappés avec leur dernière création Life and Times, en ricain dans le texte, MAIS créée à Vienne donc parmie le top ten de l'année allemande. Voilà pour le vent frais. Et puis quand même Marthaler vient jouer "Riesenbutzbach" dans les hangars de Tempelhof. Et puis aussi le stückemarkt dédié à la jeune création européene. Pour le reste on verra donc des classiques venus d'Hambourg, Vienne, Köln, d'Andreas Kriegenburg à Luk Perceval. Le cœur du festival c'est toujours la un peu snob Haus der Berliner Festspiele qui pour l'occasion a quand même revu la déco du bar et disposé quelques gravillons et caillebotis pour faire plus "cool". Dans ce magnifique bloc de verre posé sous les arbres, mieux vaut être accompagné, de préférence bien habillé, ou du moins avec un style qui se fasse remarquer. Commander un verre de sekt au bar, aller le siroter en fumant une clope devant le brasero so chic du jardin, dire bonjour à ses connaissances, avoir l'air à l'aise, chez soi. Mais la sonnerie retentit. Ah oui, c'est vrai, ce soir c'est théâtre. Le si bourgeois festival a choisi une pièce populaire (volksstück), et qui parle de crise économique et de chaos en plus, pour son ouverture. Les tt convoquent la crise des années 30, Munich et son Oktoberfest avec la pièce de l'auteur hongrois de langue allemande Ödön von Horvath, "Kasimir und Karoline". Pas tout à fait dans la même version que celle montrée - et pas mal huée- l'été dernier à Avignon mais presque. Décor, musique et mise en scène identiques. Mais le texte a changé, revenu à l'allemand d'origine, les acteurs aussi. Après leur petit flop de la cour d'honneur Johan Simons et Paul Koek ont re-monté la pièce avec la troupe du Schauspiel Köln. Samedi soir le public berlinois n'a rien sifflé - ce n'est pas vraiment dans ses habitudes - mais les applaudissements mous suintaient l'ennui au mieux. Pourtant comme une injonction impérieuse ENJOY brillait en lettres scintillantes géantes sur le décor-échafaudage. Structure massive qui porte notre regard aussi haut que la grand roue de la fête où vont et viennent Kasimir et Caroline, amants malheureux, séparés par la vie et les flots de la foule, emportés par la crise économique, incapables d’échapper aux destinées de leur condition, acteurs passifs, dépassés par le cours du monde et de leur propre vie. Et ce décor sur quatre étages nous rappelle aussi que le drame se joue verticalement, par strates sociales hiérarchisées. Kasimir (Markus John) était chauffeur, il vient de se faire licencier. Karoline (Angela Richter) se contente d’être employée, mais a d'autres rêves, d'un monde d'argent et de sécurité auquel elle ne peut renoncer. A moins que quelques bières ne l’emmènent sur d’autres chemins plus légers. Cette Karoline là a une pointe de naïveté, certes elle calcule, plaque son chômeur pour un petit tailleur, et ne résiste pas au grand bourgeois qui a flashé sur son cul mais elle voudrait rêver un peu plus loin, ne pas se laisser engluer par la poisse économique ambiante. Cette fable cruelle, balade amoureuse triste et nostalgique, ne parvient pas à sortir d’une mise à distance qui nous plaque loin d’eux ces personnages, loin de Kasimir - pourtant interprété avec force par Markus John - loin de Frank, et de ses femmes qui vendent leur corps pour quelques marks. Tous semblent perdussur cette scène démesurée, trop grande trop haute, petites vies minuscules affolées et sans direction automatique. Rien ne nous parvient de l’effervescence de la fête. Ces flonflons remplacés par une pop synthétisée de mauvais goût ne rendent pas l’ambiance plus populaire. Le drame de Kasimir et Karoline semble à mille lieux de nous, seule Erna - d’ailleurs largement la plus applaudie des comédiens - nous insuffle un brin d’humanité avec sa démarche empruntée sa vraie-fausse révolte étouffée, et nous assure un final plus intense. Ultimes soubresauts d'humanité dans une production à l'encéphalogramme désespérément plat.
Lire la suite...

mercredi 5 mai 2010

1er mai jusqu'à la nausée




Fin de manif, 20h, Kreuzberg avant la charge.
Folklore peut-être, moi-même j'étais bien au spectacle un peu, mais pas que, j'ai défilé aussi trop contente de pouvoir arpenter Kotbusser Damm sans voiture, et puis cette vieille manie indécrottable de me dire que le 1er mai, c'est sacré. Pourtant cette année j'ai eu la nausée. Non pas des Kravalle tant annoncées par Bild et consort, mais de la police allemande. Ce jour là j'ai vu des flics protéger des centaines nazis pendant des heures à l'autre bout de la ville, des flics pleins de bonne volonté pour que ces gens là puissent manifester, cracher leur haine, jouer les gros bras, faire peur à coups de drapeaux noirs et de "Nazi alarm" patché sur leurs blousons. Des milliers de flics ont bouclé un quartier, embarqué violemment des contre-manifestants, "déblayé" la route pour que le folklore nazi berlinois puisse se mettre en marche. En fin de journée à Kreuzberg, les mêmes flics en plus musclés, en plus méchants, chargent à la moindre occasion la manif des "gauchistes", des alternatifs, des désobéissants, des pas dans le rang. Des hélicos au-dessus de nos têtes, des camions à perte de vue, des rangées casquées prêtes à l'attaque. A Neukölln où défilent 10 000 alterno-autonomes, mais aussi et surtout des familles, des sympathisants, des militants, des Turcs, des Français, des punks, des ados, des gamins,... ils sont partout sur les balcons, sur les toits, sur les trottoirs, la Polizei fait tourner ses caméras pour nous prendre en flagrant délit de démonstrationnisme aïgu. Comme si déjà ce droit de défilé n'était déjà plus qu'un vieux souvenir nostalgique, une vieille habitude ringarde et mal vue. "Vous manifestez mais nous savons qui vous êtes, vous voilà fichés". Je joue les étonnées mais j'ai toujours vu faire ça sur toutes les manifs allemandes. Sauf... sauf l'après-midi même à Prenzlauer Berg. Là aucun homme en vert pour recenser les 600 nazis déployés sous leur protection, pas une caméra, pas un appareil photo. A croire qu'ils se connaissent déjà trop bien, ou qu'ils leur font moins peur que les encapuchés mal rasés. Nausée vous dis-je.
De dos, militant nazi protégé par les flics venu narguer les contre-manifestants bloqués par les mêmes flics.
Contre-manifestant emmené manu militari par la police. Son délit : bloquer la voie au passage de la manifestation nazie.
Distribution de tracts sous escorte policière. Je tente d'en attraper un mais le p'tit nazillon en chef me rétorque en ricanant que "ce n'est pas pour toi".
Les flics me demandent de partir. On se croirait à une private party réservée à des membres triés sur le volet. D'ailleurs au Sbahn tout proche les flics font le tri entre les manifestants nazis qui ont le droit de passer, et les autres qui sont refoulés. Comment? Au faciès, au look, au regard, à la coiffure. Les rasés passent, les chevelus refluent.


Lire la suite...

jeudi 18 février 2010

Berlinalement vôtre

C'est un peu morne tout ça! Mais pendant le marathon berlinale c'est sur Berlinale Off que ça se passe. Lire la suite...

samedi 30 janvier 2010

Meilleurs vœux glacés

Berlin fait de la résistance enneigée... c'est pas une raison pour s'immobiliser sous les couches de glace. Réapparition spontanée. Berlin sous givre, mais Berlin sur Scènes immer noch... Lire la suite...

mardi 8 décembre 2009

Beak - le son de Bristol

Lundi soir, 21h30, premier rang du Magnet, club de l'est berlinois. - Et c'est qui alors le mec de Portishead??? - Celui là au milieu avec sa barbe? - Nannn m'assure Julien qui est mon wikipédia portatif du rock. Nan nan c'est le blond là à gauche à la batterie. - Ah ouais? là ce post-adolescent avec sa gueule boudeuse .... Geoff Barrow himself, tiers de Portishead qui s'est incrusté dans mon salon depuis Third et ses accents à vous filer le bourdon un soir d'hiver à Berlin (comme si y'avait besoin de ça).Basse et guitare rythment des bruits lancinants. Beak est lancé. Un an d'existence à peine, un album trituré en 11 jours en studio, à l'ancienne. Une première tournée entre potes, un concert qui a le goût du spontané et du maitrisé. Une sorte de confédération bristolienne du rock post-pubère entre gens qui ont de la bouteille. A la batterie, Geoff ne lâche rien, tient le rythme sans un break, sans une respiration, avec un acharnement entêtant. De l'autre côté de la scène un mec poupin, genre autiste à bloquer des heures devant une Playstation, fait homme orchestre, triture du synthé comme un dieu, gratouille la guitare, ronronne à la batterie, s'essoufle sur l'anche d'une clarinette avant de bidouiller trois effets. Voilà Matt Williams. Au milieu, pour calmer les montées délirantes, le bassiste Billy Fuller calme le jeu, mène la partie finement. Dans un Magnet plutôt bien rempli pour un lundi, ça écoute attentivement ce truc spontané, sans prétention, tripant. A peine plane t-on un peu trop haut qu'un coup de batterie puissante, un bidouillage sonore nous tire du travers psyché. Ici c'est du trip hop noisy, cadencé, que je n'irai pas jusqu'à qualifier de trip post kraut- d'autres s'en chargent à ma place - Beak est simplement l'un des meilleurs trip post kraut qu'il m'ait été donné d'entendre ces dernières années sic- . Ils ont l'air fatigués les Beak, le week-end a peut-être été trop rude. Pas de rappel, mais les stars rangent tous seuls leur matos, on les trouve plutôt syhmpathiques, pas bégueules. On regrette pas le trajet jusqu'aux confins de l'Est berlinois un lundi soir sous la pluie. Pour ceux qui en savoir plus Beak, George Barrow parle de son projet sur le gonzo site Gonzaï, avant leur concert au nouveau Casino, à Paris. A Berlin, comme d'hab tout ça s'est fait dans le calme, sans grand plan promo, sans surchauffe aux entrées, entre gens civilisés plus tout jeunes. Même pas un sifflet, quand Beak zappe le rappel.
Lire la suite...

mardi 1 décembre 2009

Daniel Kahn - Painted Bird ou la "klezmer alienation"

Photos (c) Stéphanie Pichon
La musique klezmer berlinoise se porte bien. Schmaltz, Painted Bird, Alan Bern et d'autres se produisent régulièrement ici et là. Des Allemands, des Américains beaucoup. Conversation avec un des rares Américains berlinois germanophile/phone, qui parle même le yiddish. L'accordéoniste Daniel Kahn a créé le groupe Painted Bird à Berlin, un sorte de cabaret klezmer anarchiste. Des punks sans guitare électrique, quoi. Ils jouent ce soir sur la mini-scène du Kaffee Burger, un des endroits incontournables pour les groupes de klezmer berlinois. Et c'est seulement 5 euros.
Pourquoi avoir choisi Berlin? A cause de la musique?
je ne suis pas sûr d'avoir choisi Berlin, d'une certaine manière Berlin m'a choisi. J'ai été invité ici par Alan Berlin en 2004, puis j'ai emménagé en 2005. J'avais déjà un intérêt pour le théâtre allemand, celui de Brecht, que j'étudiais à la fac. en arrivant ici j'étais très excité à l'idée d'être dans sa ville, de pouvoir aller au Berliner Ensemble et étudier l'allemand. J'avais déjà joué dans des groupes, mais jamais aussi klezmer. Je commençais juste à m'intéresser à la musique klezmer.
Est-ce que Berlin est "the place to be" en matière de musique klezmer?
Je pense que c'est un des endroits où il faut être. Il y a dix ans, c'était certainement le centre de ce genre là, et peut-être y revient-on un peu aujourd'hui. Mais il y a toujours New York, Moscou ou Tel Aviv.
Le yiddish, tu l'as appris ici?
oui, je ne m'y suis mis sérieusement qu'en arrivant à berlin, et en apprenant l'allemand. Très vite je me suis mis à apprendre des chansons en yiddish et à ales traduire. J'ai même pris des cours à un moment. C'est une langue difficile à parler vraiment couramment parce qu'on n'a personne avec qui la parler.
Qu'as tu trouvé à Berlin qu'il n'y avait pas aux States?
Ca me déprimait de vivre aux Etats Unis et j'étais très intéressé par cette ville. Je pense en général qu'il y a un plus grand respect de la culture ici qu'ailleurs, dans tous les cas plus qu'en Amérique.
Tu veux dire ici, en Europe?
Oui, en Europe. Mais Berlin spécialement parce qu'elle ne s'est pas encore embourgeoisée ou commercialisée, la vie n'y est pas aussi chère qu'à Paris. Bien sûr, ça commence. Mais il y a encore quelque chose de particulier, c'est une ville qui n'est pas encore sûre d'elle même. Et c'est ça que j'aime. Il y a vraiment une attitude critique vis à vis de l'histoire.
La musique de Painted Birds est très impliquée politiquement, et développe un humour très noir..
The Painted birds a vraiment été créé pour décelopper ce genre d'idées. Je suppose que la politique joue un grand rôle dans ce qu'on fait. mais je pense à retourner à des chansons d'amour. Les chansons d'amour peuvent aussi être politiques.
Il y a un certain goût de la provoc aussi...
Je ne veux pas simplement appuyer sur des boutons pour le plaisir d'appuyer sur des boutons. Je pense qu'il peut y avoir une sorte de provocation constructive. Avec l'option destructif vous blessez les gens et ils se ferment. Heureusement vous pouvez aussi provoquer quelqu'un en lui faisant se poser des questions et en ouvrant le dialogue. Mais des fois vous devez faire les deux. Je ne veux pas que les gens soient ennuyés par ce qu'on fait. Généralement ça passe très bien, une chanson peut emmner très loin.
Le public réagit-il de la même manière en Allemagne ou aux Etats-Unis? Parce que tu traduis beaucoup sur scène, en expliquant le contexte de chaque morceau.
Bien sûr il y a une différence puisqu'il y a ce problème de langue. C'ets pourquoi on chante souvent en 2 ou 3 langues. Et le public comprendra toujours au moins une de trois, et n'en comprendra pas du tout une. En fait c'est vraiment ça qui m'intéresse, comment les gens écoutent une langue qu'ils ne comprennent pas. Aux Etats Unis les gens ne sont pas bons pour ça. Mais quand je joue en Russie ou en Pologne, les gens excellent à comprendre une gestuelle de la chanson, même s'ils ne comprennent pas les mots. En Allemagne, c'est intéressant parce que les gens comprennent à peu près le yiddish, tellement c'est proche de l'allemand. Les liens entre allemand et yiddish sont très étranges. C'est une relation un peu provocante. Le yiddish a beaucoup à voir aussi avec le russe ou le polonais. Et c'est intéressant de voir à quel point ce langage condense toutes les relations compliquées entre les juifs et les autres cultures européennes. C'est une sorte de passe-passe. Mais néanmoins c'est un beau langage, pour les chansons et la littérature. Pour en revenir avec les réactions, je trouve que les publics sont différents mais de la même manière. Les jeunes et vieux qui sont ouverts d'esprit, sont les même à Jérusalem, St Petersbourg, Boston, la Nouvelle Orléans ou Hildeberg. Et les publics plus conservateurs qui ont des attentes et ne veulent pas déroger de ce qu'ils attendent, sont les mêmes partout. Ce n'est pas tellement une question de classe, plutôt d'opinion politique.
Pourquoi ce titre d'album "Partisan and parasites"?
Je ne sais pas. Je pense que c'est un titre qui sonne mais cela a aussi à voir avec, vous savez, les questions de combat contre le pouvoir, que signifie "être un partisan aujourd'hui".
Et cela signifie quoi?
Ca dépend dans quelle langue. En anglais "être partisan", ça veut dire que vous appartenez à un parti politique. C'est différent d'être "un partisan". Nous avons quelques chansons qui parlent des partisans pendant la guerre. En fait, une. C'est vrai qu'en concert on joue le morceau sur les partisans français de Leonard Cohen que j'adore, mais j'essaie de la mêler à des chasons des partisan en yiddish. Et parasites.... J'ai commencé à écrire cette chanson sur les parasites en pensant à ces vieilles chansons politiques sur les parasites capitalistes et aussi en pensant à toute la propagande antisémite. C'est une sorte de pied de nez, un conte jouant sur l'idée d'un mec parasite. Derrière la question : ne sommes nous pas tous un peu parasites? Cette question de la dépendance.
Ecris-tu tous les textes?
Pas tous. Les chansons yiddish en général c'est du vieux yiddish, à part Duma. Les chansons allemandes sont généralement des vieilles chansons. Toutes celles en anglais sont les miennes, même les vieilles parce que je fais tout le travail de traduction moi même. En concert on fait des reprises, Leonard Cohen, Jeff Berner.
Tu as rencontré tous les musiciens ici?
Michael, le bassiste, on se connaissait avant. On s'est rencontré à la nouvelle Orléans en 2002. Le batteur Anpus, on s'est rencontré ici, il vient de Suède. Bert, notre tromboniste, saxophoniste, clarinettiste, on s'est rencontré ici. Sur le disque il y a aussi beaucoup de gens qui jouent souvent avec nous, Wanja Juk, Kolenko habite en Russie mais on les a rencontrés en festival Klez Canada. Paul Gresse vient d'Erfurt. On . Paul Brody aussi et Frank London je le connais des States.
Et le Rotfront, ton autre groupe, c'est pour le fun?
J'adore jouer avec eux. C'est le groupe de Youri Gourji, un des gars de Russian disko, et nous avons un nouveau disque. Ils sont géniaux et on prend beaucoup de plaisir. Pour moi c'est le meilleur genre de pop, quand elle permet de passer outre l'intellect. Dans la scène folk, ou klezmer, il y a toujours ces questions intellectuelles sur l'authenticité, l'héritage. Dans la pop, et c'est aussi un problème, c'est plutôt une sorte de globalisation, une réduction de toutes les différences dans la facilité. Mais c'est ça qui est bon! Cela efface les frontières et c'est vraiment aussi simple que : est ce que c'est fun, estce que ça marche, est-ce que ça groove, est-ce que ça fait danser, est-ce que les gens aiment. Si tout ça est ok, rien d'autre ne compte. Le meilleur exemple c'est les Rolling Stones. En terme de folk, ils ont tout volé et ce dont ils parlent peut poser problème, mais en terme de pop, ça marche, c'est du putain de rock'n roll. Je crois en ça. Je continue à croire au rock'n roll.
C'est ce qui rend votre musique intéressante quand vous êtes sur scène, ça a un rapport avec la folk traditionnelle mais pas si sérieuse ou académique, il y a une touche très personnelle.
C'est sérieux et pas sérieux. Nous ne sommes pas un groupe klezmer traditionnel. J'adore jouer avec des groupes traditionnels, je trouve la musique très belle. Certains sont très protecteurs et précieux avec cette musique moi je pense que tu peux la mélanger sans qu'elle soit atteinte. C'est quelque chose que j'ai appris du théâtre. Shakespeare supporte de mauvaises interprétations. Vous pouvez jouer Hamlet mise en scène dans un asile psychiatrique ou sur la planète Mars. Ca ne va pas faire de mal à Shakespeare, ça ne va pas porter atteinte à la pièce, vous vous faites juste du mal à vous. Donc avec la musique Klezmer j'ai pas de réflexe protecteur, et je la mixe avec d'autres influences en essayant de le faire respectueusement et intelligemment. Une grande influence pour moi c'est les Pogues. Et je pense qu'en faisant ce disque j'avais envie de faire un disque Pogues. Ils étaient capables de jouer la musique traditionnelle irlandaise avec une attitude totalement punk. Mais ce qu'ils jouent c'est de la musique irlandaise. Ils jouent de vieux morceaux, ils font des reprises, et puis ces morceaux incroyables de Shane Mc Gowan écrites dans la tradition irlandaise mais avec une interpétation contemporaine. Ils ont été une grande influence pour moi. C'est un alcoolique sérieux, qui n'en a rien à foutre de sa personne. J'ai entendu des tas d'histoire sur lui qui ne venait pas sur scène parce qu'il avait trouvé un bar juste à côté, ils l'ont finalement apporté sur scène et il s'est évanoui après deux morceaux et il a fini à l'hôpital. Je n'ai pas envie de finir comme lui, mais putain ce mec écrit encore de sacrés bonnes chansons.
Comment travaillez-vous avec le label Oriente?
C'est un petit label qui s'occupe pas mal de musique klezmer et de tango. C'est dur de trouver un label pour ce genre de musique, très dur. On cherche un distributeur pour l'amérique du nord, on a encore besoin d'une meilleure distribution en France. Mais Oriente ce sont des gens bien qui ont de super goûts et qui nous soutiennent vraiment. C'est pas facile à vendre comme musique parce qu'elle n'est pas facile à décrire. On a essayé en trois mots, on le décrit comme du yiddish punk cabaret, ou klezmer aliénation ou... Mais il n'y a pas de catégorie dans les bacs des magasins de disque pour ça, et la section klezmer n'est sûrement pas la bonne. On est assez stigmatisé quand on joue du klezmer. Je viens de lire un article dans un journal juif anglais. Ca s'appelait : "Eteint le klezmer, allume les Ramones". Et il disait que la vraie musique juive est contemporaine, urbaine, cosmopolite, cynique, sarcastique, avec un accent américain, comme Steely Dan, Leonard Cohen , Bob Dylan et les Ramones, dont j'imagine que la moitié son juifs. Mais vraiment il n'a rien compris, ni au klezmer ni au punk. C'est peut-être vrai que tous les groupes qu'ils citent sont la vraie musique juive, ils ont tous été de grandes sources d'influence pour moi mais ce qu'il ne comprend pas c'est comment tout ça est lié à la musique klezmer. Il n'y a rien de contemporain avec les Ramones, c'était il y a trente ans, et je les aime toujours. Les gens ont des préjugés contre le klezmer, ça les met mal à l'aise, ils pensent que c'est kitsch, faussement enraciné, reconstruit, mais ils ne saisissent pas vraiment son essence. C'est une musique marginale, une scène minuscule et il y a toutes sortes de raisons au fait que les gens ne comprennent pas le yiddish, ne le parlent pas, et ne savent pas comment écouter du klezmer mais je pense juste qu'aucune n'est une bonne. On peut entendre cette musique même sans savoir que c'est du klezmer, et c'est ce qui se passe avec beaucoup de gens. Et c'est du punk aussi. Les Fugs dans les années 60, qui étaient une sorte de groupe punk avaient un morceau qui s'appelait "nothing" : monday nothing, tuesday nothing.... C'est une des meilleurs chansons punk. ET c'est un morceau populaire yiddish. En fait ça s'appelait "bulbes" et c'était une chanson sur les patates. c'était Turi Kopfergerg, c'était des juifs, des anarchistes juifs. Louis Amstrong disait à propos de la musique populaire "tout est musique populaire parce que personne n'a jamais entendu un cheval chanteur". C'est pareil pour la catégorie world music, qu'est ce qui n'est pas world music, je n'aime pas cette catégorie.
Comment vit-on en tant que juif en Allemagne aujourd'hui?
Je suis très conscient d'être juif ici, mais je ne dirai pas que je vis ici en tant que juif. Je ne suis pas religieux, je joue de la musique juive, mais la plupart des gens avec qui je joue ne sont pas juifs et je ne joue pas non en plus en tant que juif. Mais être juif en Allemagne aujourd'hui, c'est mieux qu'être juif en Allemagne.... enfin tu sais, en d'autres temps. Ici t'en viens toujours à penser à ce qui s'est passé peut-être plus que n'importe où ailleurs, mais les Allemands aussi y pensent. Beaucoup de gens en ont marre d'ailleurs. Je comprends ça assez bien. J'ai été élevé avec une éduction de l'héroïsme de l'holocauste, et les Allemands aussi. Nous partageons ça. Et c'est bien de ne pas avoir à y penser en permanence. D'une autre côté c'est important de se souvenir, de se poser des questions sur cette histoire. Mais nous ne nous posons pas toujours les bonnes. Aux Etats-Unis, les juifs me demandent la même chose "Comment peux-tu vivre à Berlin"
.
Lire la suite...

lundi 30 novembre 2009

Symphonie post-industrielle sous la nef du Berghain

(c) Photo Dälek
Berlin n'arrête jamais, pas même le dimanche soir à l'heure où on aurait envie de se coucher, pas même dans ses temples de la nuit où zonent encore quelques ombres n'ayant pas fermé l'œil depuis 24h. Le Berghain trône au milieu de sa zone industrielle. Pour une fois pas de queue, même si les taxis sont là, en ligne. Le club le plus couru et le plus underground de Berlin invite à son salon électronique. Ce soir l'ex percusionniste/performer des Einstürzende Neubauten, FM Einheit, vient taper du tuyau avec Hans Joachim Irmler aux machines. Le rock noir et industriel des années 80 a laissé place à la musique électronique expérimentale, improvisée, planante et bruyante. FM Einheit martèle toujours le métal avec outils et perceuses, l'heure est toujours à la noirceur, mais le set a viré vieux virtuose de la machine. Les morceaux durent longtemps, installent une ambiance, la musique n'est pas que bruit défouloir ou énergie dévastatrice, elle est lisible, claire, puissante. Ca vous remue les tripes, ça vous remonte par les pieds. Mais ce n'est qu'un avant-goût, une première partie, une mise en bouche. En haut de l'affiche de cette soirée c'est Dälek les rappeurs new yorkais qui balancent autant de son à deux que trois marteaux-piqueurs réunis. C'est frontal, bruyant, violent le flow n'est pas extraordinaire mais l'important c'est l'expérience opressante, une bande son de sensations qui pousse le hip hop au rang de musique expérimentale, poisseuse et sombre. On n'est plus très loin de la désespérance bruitiste des Neubauten. On comprend l'équilibre de la programmation. On a juste mal aux oreilles de tant d'épuisement sonore. Mais que c'était bon.
Lire la suite...

vendredi 27 novembre 2009

Nir de Volff "Je suis un créateur instable"

On avait quitté Nir de Volff à la nouvelle Synagogue de Berlin avec Action, une histoire de Dieu qui voulait faire du cinéma. Avec Matkot le chorégraphe israélien de la Cie Total Brutal, installé depuis 6 ans à Berlin, nous emmène cette fois à la plage en plein hiver. Première ce soir au Dock 11. Cela pourrait être celle de Tel Aviv, bruyante et bondée, cela pourrait être celle de Wannsee, calme et désertée, cela pourrait aussi bien être en Corée. "La plage renvoie à des situations que nous connaissons tous” explique t-il : l’érotisme de la proximité, l’agacement des bruits, les regards en dessous, les bikinis et les pique niques mayo, le bruit des fonds des balles de beach volley (Matkot signifie beach ball en hébreu). Quand ce petit théâtre du quotidien rencontre l’imaginaire débridé et sarcastique de la bande de Total Brutal, cela ne peut qu'échauffer les esprits. On ne dévoile pas tout mais il y aura des boites de thon parlantes, des profs d’aérobic contorsionnistes, mais pas de naturistes.... J'ai rencontré Nir de Volff en octobre. A Berlin il faisait déjà à peine quelques degrés. Le chorégraphe israélien est arrivé en retard, en petit pull, grelottant. Il revenait d'une résidence à Tel Aviv et n'avait toujours pas digéré le décalage climatique...
Un spectacle sur la plage, c’est pour éloigner l’hiver berlinois?
J’ai grandi à Tel Aviv où les hivers durent huit mois et où il fait au pire entre 18 et 25 degrés, ici, en Europe, particulièrement à Berlin, je dois affronter des hivers longs et froids. Ce n’est pas pour rien que je créé cette pièce en décembre. Au milieu de l’hiver berlinois ce sera comme un morceau de paix et de chaleur pour le public, un peu comme aller au sauna, une sorte de soulagement. Moi-même je ne me fais toujours pas à l’idée de l’hiver berlinois. Je crois que la seule chose qui me fera battre en retraite un jour, c’est la neige, comme les Allemands sur le front russe!!!

Pourquoi ce titre Matkot, qui signifie “beach ball en hébreu?
Au début cela démarre par une plage calme, avec un cocotier, puis on arrive à la réalité : une plage pleine de gens qui font du bruit, écoutent chacun la radio, mangent, chacun vit sa vie. Les jeux de plage créent une sorte de bruit de fond. Depuis quelques années, le Maktot est presque devenu un sport national. Quand on est sur la plage à Tel Aviv, on entend toujours ça en bruit de fond, c’est vraiment dérangeant.

Est-il question des plages allemandes aussi?
Oui, nous sommes aussi allés à Wannsee, où tout était très calme, très différent de Tel Aviv. Moi par exemple, je n’irai jamais me baigner dans cette eau verte et stagnante. Il me faut de l’eau chaude, qui bouge! Il y a plein de cultures de plages différentes, Chuk, qui a travaillé avec moi sur la création, vient de Corée, et elle dit que c’est encore plus fou qu’à Tel Aviv là-bas.

ET des FKK (naturistes, ndlr) il y en aura?
Non je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je n’ai pas de problème avec la nudité, mais ça me gêne un peu cette manière de parquer les gens, les tout nus à part, cela me fait penser à des vaches qu’on rassemble. Je ne me sens pas à l’aise au milieu de tous ces gens à poil.

Vos pièces sont toujours à la frontière de plusieurs arts. Les définiriez vous comme de la danse, de la danse-théâtre (Tanztheater) ou de la performance?
Je ne suis pas un créateur stable. Là je reviens d’une création pour l’opéra de Francfort où j’ai travaillé avec David Lehmann, c’était de la pure chorégraphie. Action, que nous avons joué dans la nouvelle synagogue de Berlin c’était du théâtre et de la performance. Matkot se situe plus entre la danse et la performance. C’est une pièce avec beaucoup de danseurs, de gens inexpérimentés, d’invités surprises. Cela ne traitera pas seulement de la plage, mais aussi de la sensualité d’avoir quelqu’un à côté de soi si près et comment ce la réveille la partie érotique de votre cerveau. Il sera beaucoup question de l’interaction entre les gens, cela reflète ce besoin de contact, souvent quand on va à la plage seul on regarde beaucoup les autres. Vous êtes là et vous pensez à plein d ‘autres choses, pas seulement au soleil et à la baignade. Comment vous êtes touchés par exemple, maintenant on vous propose des massages pour 5 euros qui font plus de mal que de bien ou des cours de méditation. C’est vraiment à propos de tout ça. Cette superficialité.
Long silence...
En fait, je suis très influencé par l’image et le cinéma. Ce que j’aime c’est cette capacité de manier cet art visuel que la danse ne permet pas. Au cinéma il est possible de montrer en même temps deux situations, la réalité et la fiction, le fantasme. Il y a aussi cette capacité à basculer d’une émotion à l’autre en moins d’une seconde que la danse ne permet pas. Sur scène c’est beaucoup plus délicat, on tombe très vite dans le pathétique. Action par exemple racontait la création d’un film tourné dans une synagogue avec Dieu pour scénariste. On a commencé en bas, et on a fini au 3e étage, un peu plus près du ciel, et de Dieu. Il y avait une ligne narrative mais l’idée n’était pas de conduire le spectateur du point A au point Z en utilisant toutes les lettres dans l’ordre, c’était au spectateur de reconstruire lui-même l’histoire.

Comment avez-vous réussi à jouer dans la nouvelle synagogue?
J’ai été très chanceux, c’était la première fois que la synagogue de Berlin s’ouvrait à un spectacle. J’ai insisté longtemps avant d’avoir un rendez-vous avec eux, et puis quand ça s’est fait, ils ont trouvé que c’était la bonne compagnie, au bon moment, dans le bon lieu. Ca a été un grand succès, on a été plein tous les soirs. Cela a été reçu différemment par la critique locale allemande notamment, qui n’a pas trouvé que c’était la bonne pièce dans le bon endroit. Ils jugeaient que cette pièce n’avait rien à voir avec l’histoire du lieu, avec ce passé chargé entre Juifs et Allemands. C’est typiquement allemand de penser comme ça. Mais beaucoup de gens au contraire étaient soulagés que ma pièce ne parle pas de ça.

Vous vivez à Berlin depuis 2003, qu’est-ce qui vous fait rester ici?
L’argent (rires), non....

Ah bon? Mais pourtant Berlin a la réputation d’être pauvre...
Oui mais ça amène les gens à travailler beaucoup. C’est très différent de ce que j’ai pu vivre en Belgique ou en Hollande, où il y a un système pour les artistes, pour les danseurs. Là-bas ils n’ont pas besoin de travailler autant, et cela change le rapport à la création. Ici c’est beaucoup plus dur, tu te lèves le matin en te disant que tu dois survivre.

Vous ne travaillez plus en tant que danseur?
Quand je suis arrivé il y a cinq ans, je faisait partie des Dorky Park de Constanza Macras, j’ai vraiment aimé ça, et j’aimerais vraiment faire encore des choses avec eux mais je n’ai plus le temps pour ça, ni pour danser pour d’autres. En tant que danseur j’avais l’impression d’avoir atteint ce que j’avais à faire, j’en suis arrivé au point où ce que j’ai envie de faire c’est être chorégraphe.

Berlin est-elle une sorte de paradis pour la danse contemporaine?
Je la vois plutôt comme une île artistique dans le monde. Je ne dirai pas que cela concerne seulement la danse. Je suis un peu comme ces acteurs qui n’aiment pas le théâtre, ou ces réalisateurs qui ne vont jamais au cinéma, je m’intéresse peu à la scène de la danse berlinoise. Mais je suis porté par tous les autres courants artistiques, que ce soit les expositions à la Neue National Galerie ou au Martin Gropius Bau, ou le travail des illustrateurs que je suis particulièrement ici. Tout cela est source d’inspiration. Je me sens vraiment ici dans la ville où je dois être. Avant j’avais passé trois ans à Amsterdam, j’étais soutenu financièrement mais ce n’était pas l’endroit où je voulais vivre.

Quels sont vos rapports avec le Dock 11 où sont jouées presque toutes vos pièces?
Ils m’ont toujours soutenu, ils croient vraiment en moi, ils m’ont permis de me lancer dans mes projets, de développer mon art, et de le mûrir. Mais je peux aussi passer du Dock 11 à l’opéra de Francfort. En 2010 je suis invité à Bangkok, également à la Raffinerie de Bruxelles.

Et la France?
J’ai joué récemment à Bordeaux, dans le cadre des Grandes Traversées, c’était vraiment bien. J’avais peur que les langues étrangères soient un problème pour le public français mais maintenant avec les surtitres, ça passe partout.

Matkot, de Nir de Volff/TOTAL BRUTAL, Première ce soir, 20h30, Dock 11, jusqu'au 30 novembre, puis du 4 au 6 décembre. 8-13 euros.
3 Some une de ses premières pièces, grand succès berlinois, rejoue également du 4 au 6 février au Dock 11..
Lire la suite...

jeudi 26 novembre 2009

Nature Theater of Oklahoma - Cosmique comics

Beau? Non... Touchant? Non plus... Virtuose? Profond? Magique? Soigné? Non, non, non. "No dice" n'est rien de tout ça. NO DICE est tout simplement BARGEOT. Une éloge de la folie douce, du conte cosmique comics, allons enfants de la Grosse Pomme le jour de foire est arrivé. La moustache du cowboy irlandais se décolle, les bouclettes du pirate juif orthodoxe s'accrochent aux lunettes, la bretelle de la rousse en bas résilles s'affole. J'ai l'impression de plonger dans une BD de Crumb ou dans un épisode des Freak Brothers... Les mimiques à contre-temps les yeux grands ouverts, les costumes outranciers fabriqués dans un grenier de grand-mère. Devant moi, dans le public, une belle américaine de 75 ans s'étouffe de rire. Pleins feux sur la scène et dans le public, du néon cru, pas d'entourloupes, le théâtre de bric et de broc n'a besoin que d'un pauvre bout de velours vert pour faire figure de représentation.
A l'entrée on s'est enfilé du soda ricain et des sandwichs au beurre de cacahuète. Cela excite-t-il les Européens gavés de Culture que nous sommes de se pencher sur la troupe du Nature Theater of Oklahoma et en se demandant si c'est ça, la nouvelle sensation new yorkaise performative? Comment le décrire, comment le raccrocher au wagon de ce que nos artistes nous donnent à voir. IMPOSSIBLE. Certes leur nom vient de Kafka, alors oui, allons-y pour le décryptage absurde de notre quotidien. Mais leur culture est autre, plus underground, vraiment, l'art se pratique aux heures perdues, quand le fric est rentré dans les poches, qu'on a payé le loyer, le shit et la picole.
Pas de fausse branlette esthétique, on oublie les jeux de lumière soignés, les décors qui coulissent ou s'envolent, les scénographes, décorateurs, costumiers, petites mains. Ici le patron de la troupe vous tartine de la moutarde-mayo sur votre pain en guise d'intro et vous incite à aller acheter ses T-Shirts. Donc une fois le sandwich avalé, nous voilà quelques uns, une centaine, à savoir qu'on en a pour quatre heures en anglais non sous-titré, pas sûr de savoir à quelle sauce on sera mangé, à moins que le choix peanut butter/gely OU mayo/moutarde soit un avant-goût. La scène est recouverte d'une moquette neutre, un peu moche, au fond des murs blancs genre temporaires, nous sommes dans un bureau open space tout ce qu'il y a de standardisé, dans un coin une plante maigrichonne se meurt et l'horloge décompte les minutes des pauvres spectateurs que nous sommes - enfermés là pour quatre heures.
C'est parti, les cinq acteurs prennent à bras le corps un texte soufflé dans les oreillettes, des conversations banales, qui à force d'être triturées, remaniées, dites et redites, échangées, forment une matière à histoires, celles de nos vies, de la leur, d'une épopée moderne dans la jungle de villes vampirisantes. La pièce avance par la seule force de la parole et des gestes, les corps des acteurs sont le moteur. La matière théâtrale se façonne sous nos yeux, dans un long processus de fabrication. Les corps sont mis à rude épreuve, pas nus non, ni badigeonnés de beurre de cacahuète susmentionné, ni peinturlurés, non simplement tendus par le jeu, la volonté de créer là, ici ce soir, une histoire, de rester connecter aux autres acteurs, de maintenir le flot, de tenir le regard des spectateurs, de satisfaire leur envie d'être étonnés, surpris, conquis.. "Amuse-moi" crie l'un d'entre eux, "Raconte-moi une histoire" supplie l'autre... Il n'est question que de ça dans ce théâtre là, des histoires qu'on se raconte, pour s'amuser, pour se distraire, pour s'évader pour échapper à la réalité. Ou comment la banalité de leurs conversations prises bout à bout peuvent mener à la poésie, une sorte de transcendance cosmique, un échappatoire joyeux. Le Nature Theater Oklaoma a construit sa réputation sur ce jeu du réel. Cette fois-ci No Dice repose sur le matériau brut de plus de cent heures de conversations téléphoniques enregistrées. Discours anecdotiques et pourtant essentiels sur ce que c'est d'être artiste à New York au début du 21e siècle, l'incontournable course à l'argent, aux petits boulots, les envies de gloire ou pas. Par un effet baguette magique du NTO, cette frénésie du quotidien se traduit dans une transe corporelle. Le grand dur en chapeau de cow boy qui trie des dossiers par milliers avant d'aller donner sa voix à une pub quelconque répète avec puissance des gestes taylorisés. Chacun a son langage corporel, des petites phrases qu'il ponctue d'un zigzag du bras, ou d'une torsion du torse. Et puis il y a ces observateurs, pas seulement dans le public, mais aussi sur scène. Un homme habillé en batman avec oreilles de Mickey dont la seule présence muette offre un contrepoint aux logorrhées de ses camarades qui échangent sur Mel Gibson dans Hamlet ou l'assurance maladie. La pop Culture d'une Amérique méprisée et pourtant jalousée nous arrive dans les oreilles. Ca dure quatre heures avec une pause, ça joue avec nos nerfs et nos rires, on nous promet encore mieux après les deux premières heures, on voudrait y croire, on n'est pas nombreux à rester, à peine un tiers, mais cela renforce ce sentiment de faire partie de ce qui se joue là maintenant ce soir. On a fait l'effort, ils le savent. Pourtant la deuxième partie s'annonce laborieuse, les mêmes conversations nous reviennent par d'autres bouches, l'oreillette souffle le texte qui s'éparpille, trébuche, rebondit. Jusqu'à quand raconter CETTE histoire, "ne plus quitter la scène pour ne pas mourir" lance l'un d'entre eux. Pourtant il faut bien partir, les moustaches tombent, les perruques aussi, on se retrouve face à eux, fatigués, renonçant à maintenir encore l'illusion de théâtre, ils n'ont plus alors qu'à venir s'asseoir contre nous, tous près, et nous susurrer les mêmes histoires en tête à tête, à voix douce. Il y a eux, il y a nous, nous sommes réunis, nous avons vécu une histoire, une aventure ensemble. Ils sont beaux et freaks à la fois, ils nous ont entourloupé. On ne pense plus aux quatre heures, ils ont parcouru ce chemin jusqu'à nous. Nous avons répondu en revenant jusqu'à eux.
No Dice joue encore ce soir et demain à la Hau 3, à 19h. Si l'anglais ne vous rebute pas (pas de sous-titre, impro oblige), courez-y!!!
Lire la suite...

mercredi 25 novembre 2009

Reprise de souffle

Et je n'ai plus suivi le rythme... Parfois d'autres choses arrivent, prennent le dessus
des voyages - Prague, Hambourg -
des amis,
du travail
une envie de dé-connecter
J'ai donc vu, entendu, rencontré beaucoup ces dernières semaines sans avoir le réflexe d'aller le partager ici. Reprise de souffle cybernétique, période de jeûne médiatique, mais qui nécessitera quelques retours, notamment sur ce très beau Tanzkongress de Hambourg qui a offert un temps de parole précieux à la danse contemporaine.
Pour revenir à l'agenda berlinois, lundi soir, j'ai manqué la première du Mariage de Maria Braun, la nouvelle création d'Ostermeier à la Schaubühne mais ça se rattrapera fin décembre.
Pour faire vite, il faut aller faire un tour à la Hau cette semaine, pour plusieurs raisons:
1. le Nature Theater of Oklaoma y fait une visite. Ce soir je vais y voir No Dice (Hau 3), 3h30 de spectacle dont je n'ai pas trop voulu décrypter le contenu. Pour la surprise.
2. jusqu'à samedi et dès ce soir, Jeremy Wade à la Hau 2.
3. Toujours à la Hau la semaine prochaine Photo Romance et Lola Arias.
Je serai aussi demain soir à la Volksbühne pour Meg Stuart et son "Do Animal cry". A noter dans les agendas encore la nouvelle création Matkot de TOTAL BRUTAL et Nir de Volff, dès vendredi au Dock 11, on y reviendra sur ce site avec une longue interview de l'intéressé.
Lire la suite...