Regard curieux sur une capitale en MOUVEMENTS

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vendredi 24 octobre 2008

Im Ausnahmezustand à la Schaubühne


Dans une maison ultra-sécurisée d'un quartier réservé aux plus riches, une famille vit derrière des murs qui la protègent des réalités du monde. Mais on étouffe très vite dans cette prison dorée. La paranoïa gagne. Auteur et metteur en scène de "Im Ausnahmenzustand", Falk Richter érige un huis clos angoissant, entre science-fiction et polar, servi par un duo d’acteurs époustouflant. Dans ce monde en "Etat d'urgence" tout est gris et froid, comme le décor imaginé par Jan Pappelbaum. Canapé, habits, murs, visages, regards. Rien ne renvoie plus de lumière. Le peu de chaleur qui aurait pu arriver de la cheminée n'est que factice, les flammes se règlent à la télécommande. Bienvenue dans la forteresse de la réussite. Lascive sur un long canapé une femme bombarde son mari de questions. "Es-tu sûr que tout va bien ? (…) Comment vas-tu (…) Tout est ok (…) tu es bizarre (…) qu'est-ce qu'il y a?". Derrière ces questions anodines, pointe déjà l'état de panique. La femme s'inquiète. Pour son mari, pour ce bruit de vagues qu'elle confond avec des coups de feu, pour la porte qui serait restée ouverte la nuit. Lui, absorbé par son ordinateur, ne répond que par onomatopées ennuyées. Peu importe la réponse. De toute façon plus rien ne la rassure, ni les barbelés, ni les caméras, ni les gardiens armés de cette « Gated community » de privilégiés qu'ils ont réussi à rejoindre au prix de longs efforts. A force de vivre cloîtrée, elle s'imagine que le danger peut aussi venir de l'intérieur. Son angoisse permanente vampirise son entourage.
Sous nos yeux, l'actrice Bibiana Beglau se transforme en système sécuritaire hystérique dont l'esprit rongé par la peur ne connait plus de limite : surveiller les emails de son fils, se cacher sous son lit pour l'observer la nuit, espionner son mari, comptabiliser le nombre de blagues qu'il fait dans la journée, le nombres de minutes qu'il passe à regarder par la fenêtre. Ici le hors-norme n'a pas lieu d'être. Pour vivre à l’intérieur, il faut se plier aux codes et standards. Travailler beaucoup mais aussi être joyeux, enthousiaste, bronzé, en bonne santé, sociable, drôle, sportif. Ce que le mari, joué par Bruno Cathomas, semble de moins en moins disposé à être. Elle est le doigt pointé sur ses manquements, il est le personnage victimaire, ployant sous la pression déraisonnée d'une société en proie à la peur de l’autre et de l’étrange. "Tu es folle!" lui lance-t-il effrayé. Entre deux avalanches de questionnement, le trio homme-femme-enfant cherche à se raccrocher à une normalité perdue. "Asseyons-nous tous ensemble, nous sommes une famille non?". Mais il est depuis longtemps trop tard. Les corps rechignent à se toucher. La famille est entrée dans un jeu de haine triangulaire. L'adolescent ne s'approche plus d'eux que pour réclamer son argent de poche. Et s'enfuir.
Falk Richter a écrit cette pièce pour ses deux de ses acteurs préférés et cela se sent. Dans une mise en scène sobre et un savant ballet des corps, le duo Cathomas/Beglau joue une partition tendue sans jamais tomber dans l'agitation. Elle, cheveux relevés et visage calme, contient brillamment sa folie qui s’échappe lors de longs monologues effrayants. Lui absorbe physiquement l'angoisse et nous la restitue en tremblements, transpiration et souffles lourds. Emouvant en victime résignée et souffrante.
« Mais où tout ça va t-il nous mener exactement?" demande-t-il. Il connait la réponse. Dans le mur. Celui qui les protège et qui les enterre. Otages consentants d'un monde sclérosé auquel il manque une chose essentielle, la vie.

« Im Ausnahmezustand » de Falk Richter avec Bibiana Beglau, Bruno Cathomas, Vincent Redetzki. à la Schaubühne am Lehiner Platz.Les 25 et 26 octobre, 14 et 29 novembre. www.schaubuehne.de

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