José Saramago est mort. Je le citais encore il y a un mois en parlant de Trust de Falk Richter. Parce que son discours, son écriture, son parcours étaient pour moi une survivance d'un monde et d'une pensée en voie de disparition, d'une classe et d'une intelligence qu'on ne vante plus, voire qu'on ringardise - être communiste en 20010 c'est pas un peu démodé?- un esprit qui allait de plus en plus à contre-courant, comme d'une autre époque mais incroyablement lucide et visionnaire. Lisez l'Evangile selon Jésus Christ, lisez la Lucidité, pour se souvenir pourquoi nous en sommes là aujourd'hui. José Saramago est mort. Reste de lui cette interview que je ressors souvent, que je relis souvent aussi parce qu'à l'époque je me disais que si un prix Nobel, un bourgeois en quelque sorte, que si un homme de 85 ans était encore capable de penser ça, alors moi je me devais de ne pas céder, de résister aux discours ambiants, ne pas accepter. José Saramago est mort. En épitaphe cette interview accordée au Monde en 2006 qui se terminait ainsi : "La vieillesse n'est pas une condition à la liberté, tout au contraire. Néanmoins, dans mon cas, après réflexion, j'en suis arrivé à la conclusion qu'elle m'a accordé effectivement plus de libertés. Ce qui m'a conduit à devenir plus radical comme l'illustre ce livre où j'ai mis d'ailleurs en épigraphe : "Hurlons, dit le chien." Ce chien, c'est vous, c'est moi, c'est nous tous. Jusqu'alors nous avons parlé, nous nous sommes exprimés sur de multiples sujets sans nous faire véritablement entendre. C'est pourquoi, il faut à présent hausser le ton. Oui, je crois que le temps du hurlement est venu."
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vendredi 18 juin 2010
jeudi 20 mai 2010
Trust - Le temps d'aboyer est venu

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lundi 17 mai 2010
Theatertreffen - La Dauerkolonie de Marthaler sent le renfermé

Samedi soir, en sortant des hangars de Tempelhof, je me dis que j'ai du mal à comprendre le succès de Christoph Marthaler. Artiste associé d'Avignon 2010, il y a déjà triomphé l'an dernier avec son RiesenBuztabach - eine Dauerkolonie. Sélectionnée pour ces Theatertreffen, cette pièce s'est installée le week-end dernier dans les hangars désertés du plus grand aéroport du monde, Tempelhof. J'ai souvenir que la poésie m'avait tenue éveillée pour Die Fruchtfliege, vue il y a deux ans à la Volksbühne. Cette fois-ci je trouve juste son univers sans surprise, et je m'y ennuie. En Allemagne ces tapisseries vieillottes, ces vêtements étriqués, ces meubles années 50 sont devenus à la mode. Cette esthétique n'a plus rien d'une douce ironie populaire qu'on trouve chez les Deschiens. Pour la première fois j'ai vraiment l'impression d'un décalage générationnel avec un metteur en scène, pourtant pas si vieux (la cinquantaine). Son monde m'est étranger, son petit ballet d'anti-héros du quotidien qui ne ressemble plus au mien me touche mollement.Peut-être étais-je trop loin perdue au 30e rang d'un gradin vertigineux. Je vois bien que tout le monde applaudit à la fin, que le charme a opéré, je regarde les visages, ils sont âgés.Le gigantisme de Tempelhof se mariait pourtant bien au décor signé Anna Viebrock, une maison/usine/pavillon/cité, à vous de choisir. Le lieu de tous nos quotidiens, sous l'inscription "Institut des entreprises de fermentation". Balcons, garages aux portes coulissantes, escaliers, salles vitrées, les acteurs évolent dans ce décor aux multiples facettes mais finalement très clos, étouffant. La pièce s'ouvre sur un tableau tout féminin. Des silhouettes de tous âges sont disposées ça et là au milieu de meubles épars, et attendent. Salle des ventes, magasin, bureau, appartement, en tout cas un lieu transitoire, en devenir - ou en pleine décrépitude. Ca sent le début et la fin d'un monde, on ne sait pas bien lequel. Un homme entre en scène, claque des bises à chacune et multiplie les mêmes explications vaseuses de son retard à sa maman/épouse/maîtresse. Il leur parle en français, elle n'y comprennent rien. Mais finalement peu importe ce qui se dit, et en quelle langue, ces échanges n'ont pas de sens, pas plus que les comptes des banques qui se vident et se remplissent au rythme éffréné de la (les) crise économique. Ces quelques conventions sociales du quotidien, sont tout ce qui nous reste d'un monde en déliquescence et on s'y raccroche pour croire encore en l'ordre du monde : un patron derrière son bureau vitré qui surveille, un employé de banque peu aimable derrière son comptoir, des hommes qui crient à leur femme de leur chercher des bières, des fêtes à cotillons qu'on organise dans le garage. Mais autour tout s'effrite, les meubles disparaissent les uns après les autres, les comptes se liquident, les héritages s'envolent, les patrons se déshabillent pour pousser la chanson. Durant les deux heures et demi de la pièce Marthaler semble regarder ses personnages s'affoler dans une cage ou un aquarium leur injectant une dose de "crise économique" et regardant ce qui se passe. Le ballet qu'il leur fait exécuter est dirigé avec méticulosité à tous les étages. Pas ou peu d'histoire, des situations qui éclatent, s'étirent souvent, des répétitions, des ballets qui tournent à la posture et tournent à vide - comme ce défilé de mode final en habits recyclés (il faudrait que Marthaler aille voir ce qui se fait en danse avec ce type d'idées, je pense notamment à Parades and Changes d'Anna Halprin, c'est tout de même autre chose). Impossible cependant de résister à cette bande d'acteurs fidèles, différents, non formatés, et surtout "pas jeunes". Ils vivent sous nos yeux tour à tour guignolesques, mesquins, petits, rêveurs. Mais leurs déplacements à quatre pattes, leurs va et vient entre les trois garages, leurs chorégraphies sur "Staying alive" transpirent le second degré bon marché. Les chorégraphies ne me font pas vraiment rire, le comique est facile, vu et revu.Le théâtre de Marthaler sent un peu le rance, comme le capitalisme qu'il attaque. Son théâtre de marionnettes chantantes ne m'amuse pas, voire m'ennuie. Quoi Bach et Schubert pour nous sauver des eaux entâchées de nappe de pétrôle du libéralisme triomphant? Je ne trouve aucune originalité dans cette proposition, aucune échappée, ni poétique, ni esthétique. Où se situe la modernité de ce spectacle? J'ai l'impression d'être loin de tout ça, et me souviens de l'émotion lundi dernier à la Schaubühne en découvrant Trust de Falk Richter - qui sera d'ailleurs à Avignon cette année. Dans sa critique de la crise économique, Richter développe bien d'autres énergies, même si ce sont celles du désespoir.
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mercredi 12 mai 2010
Félix Ruckert - "L'idée de la douleur bienfaisante"

Son premier événement le festival X-Plore, était au départ financé par le Sénat de Berlin. Après une première édition en 2004 qui fait les gros titres de la presse à scandale allemande, les subventions sont retirées. Depuis le Schwelle 7 avance seul, sur ses fonds propres. X- plore existe toujours, la prochaine édition aura lieu en juillet. Il réunit chaque année près de 300 participants-spectateurs. A l’image du Schwelle 7, ici le spectateur ne l’est jamais vraiment, ceux qui viennent “voir” savent qu’ils auront aussi à “prendre part” ou du moins entrer dans le jeu. Même règle pour les soirées BDSM, les Play Party, organisées une fois par mois, les soirs de pleine lune. “Je vois ça plus comme des happenings, on fait attention à qui vient. Il y a beaucoup de mises en scènes, tout est un peu préparé. Les gens se créent des personnages, pour que les relations ne s’en tiennent pas aux conventions sociales habituelles. Quand il y a des gens nouveaux, je les avertis à l’entrée, s’ils ont l’air de comprendre l’état d’esprit, je demande à des gens habitués de les adopter pour la soirée. C’est un peu le principe d’une célébration, tout le monde partage pour créer quelque chose, comme une improvisation”. Il est d’ailleurs obligatoire de se déguiser si l’on souhaite participer aux soirées, et des panoplies sont à louer à l’entrée. Aujourd’hui la salle rencontre son public, la programmation est intense, des artistes venus du monde entier viennent y faire des stages, comme le chorégraphe et danseur anglais Julyen Hamilton, un ami de Félix Ruckert qui est revenu pour la troisième année en décembre. A presque 50 ans le chorégraphe a conservé beaucoup d’amis dans la scène de la danse contemporaine, en janvier dernier avant une participation au festival Faits d'Hiver il était à Paris pour un stage avec la chorégraphe octogénaire américaine Anna Halprin. “Le Schwelle 7 touche du monde, des gens différents. Mais la plupart sont des danseurs, même si beaucoup dans le milieu contestent ce lieu. Ceux qui viennent ont une grande ouverture d’esprit, ils ont envie d’expérimenter des émotions et la physicalité des gens du SM.” Pour ces derniers, venir au Schwelle 7 c’est aussi sortir de l’intimité habituelle du jeu SM. “Lors des ateliers, ils sont souvent effrayés par la promiscuité avec d’autres personnes. Ils ne sont pas forcément préparés à se confronter à des partenaires qu’ils ne connaissent pas. Les danseurs ont une distance vis à vis de l’émotion que les personnes venus du SM n’ont pas. Pour eux n’y a pas de distance entre l’action et l’émotion et c’est une force je trouve”. Félix Ruckert se définit “absolument” comme un pionnier de la rencontre entre scène artistique et scène BDSM. Même s’il constate qu’en Allemagne il y a de plus en plus de gens qui partagent leurs pratiques, leurs propres univers. “Ca fait dix ans que le BDSM commence à aller vers un public, il y a de plus en plus de lieux, de bars, de cours”. D’autant plus à Berlin, ville tolérante, déviante par excellence, très ouverte aux sexualités alternatives.En avril l’une de ses pièces les plus connues, Secret Service, était rejouée à Berlin au Schwelle 7 et au Havre. Une pièce où, yeux bandés, les spectateurs s’en remettent au savoir-faire des danseurs dans une communication des corps tactile. Avant la représentation, quelques règles sont énoncées "au niveau 1, vos yeux seront bandés. Mouvement, plaisir des sens et communication" sont les moteurs de ce premier niveau. (...) Vous ne pourrez participer au niveau 2 que si vous avez réussi le précédent. En plus des yeux bandés, vos mains seront attachées. Nous vous demanderons d’enlever le plus de vêtements possible pour permettre un accès optimal à votre peau.(...) Le niveau 2 se concentre sur l’expérimentation de la douleur corporelle et de la soumission.(...) La participation à "Secret Service" est à vos propres risques et périls”. La fréquentation du Schwelle 7 aussi.
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Volksbühne - Fuck off America, ce blog lui doit bien ça
Quatre bonne raisons de parler aujourd'hui de Fuck Off America :
1. ça se joue ce soir à la Volksühne.
2. Ce blog lui doit bien ça, s'abritant depuis ses débuts derrière son nom et la façade provocatrice d'un OST theater, comme une trace nostalgique d'un esprit alternatif berlinois en perdition.
3. Il y a deux ans avec cette pièce je découvrais la Volksbühne, Frank Castorf, ravie de voir qu'on pouvait aller au théâtre sans comprendre un mot de la langue.
4. Au moment où la pièce sortait à Berlin, le magazine XXI se lançait. Dans son premier numéro l'écrivain Emmanuel Carrère traçait un portrait ciselé et littéraire d'Edouard Limonov, l'auteur de Fuck Off America. L'article est à lire ici.
Donc, pour la Volksbühne, même si récemment rénovée et toujours aussi désespérément désertée, et pour fêter un peu la renaissance printanière de Berlin sur Scène, j'ai fouillé dans mes notes de l'époque, griffonnées sur un cahier comme on faisait avant. Je vous les livre ici.
6 mars 2008. Totalement par hasard j'ai lu il y a deux jours le long et très bel article d'Emmanuel Carrère sur Edouard Limonov paru dans le 1er numéro de XXI. Hier encore j'ai ignorais totalement l'existence. Et voilà que ce soir je suis allée voir une pièce tirée de son roman et de son expérience de l'exil new yorkais (pour cause d'expulsion d'URSS au début des années 80). Limonov c'est un parcours de poète maudit, d'écrivain d'avant-garde lors de son exil parisien qui durera dix ans, de révolutionnaire rouge-brun. A son retour en Russie les choses se politisent, il fonde le parti national-bolchéviste, c'est gros bras, argent douteux, pas peur de la bagarre ni de la confrontation à Poutine. Ca finit quand même dans les geôles. Frank Castorf, patron de la Volksbühne, n'aime rien tant que de se frotter aux personnages à la marge, aux politiquement incorrects, aux personnages douteux et poisseux, aux rebuts de la société. Est-ce pour ça qu'il a préféré jeter Goethe aux oubliettes (il devait monter Faust et deux semaines avant les premières représentations fait parvenir à la presse un dossier de presse Fuck off Goethe et annonce son adaptation de Limonov) et s'attaquer à du méchant, braillard, nauséeux? ébauche, exil, frustration, sexe, premiesr écrits, poésie, vie sombre, du pain bénit pour le metteur en scène. C'est ma première fois avec Castorf, je m'attendais aux ris et au trash. Et je n'ai pas été déçue. Théâtre physique, on éructe, on se délecte des mots crus qu'on crache à la figure, pourquoi pas avec nourriture, on mime la fornication, on bouffe, on bafffre, on crache, on crie, on chante. Avec mes trois mots d'allemand je ne comprends rien mais la rage de Limonov passe, le désespoir de l'exil aussi. Le décor tourne encore. La première a eu lieu hier, et aujourd'hui la salle est à moitié vide. Mais les présents, des jeunes surtout, sont très présents. Applaudissements, rires, cris, manifestations d'enthousiasme, j'ai rarement vu un public aussi impliqué. Je suis contente d'être là au milieu d'eux, j'ai l'impression d'être invitée à une fête où je ne connais personne mais où les gens me sont a priori sympathiques. je me dis qu'il est réjouissant de voir ce genre de spectacles volontairement vulgaire, violent, de mauvais goût, sur l'une des scènes culte de Berlin. La bourgeoisie, on lui crache dessus, on se fout des salles pleines, même quand on s'appelle Castorf et qu'on a plus de soixante ans, on s'en fout des p'tits fours et des soirées de première m'as tu vu. On préfère faire hurler un public jeune dans une salle moitié vide.
Depuis mars 2008, je suis souvent revenue à la Volksbühne et n'ai jamais retrouvé cette folie de la première fois. Mais je ne suis jamais allée revoir Castorf. Pollnesh, Meg Stuart, Marthaler, Gotscheff surtout. La salle est souvent dépeuplée à part pour Dimiter Gotscheff. Dimanche soir j'y étais encore pour une création maison avec la chorégraphe Wanda Golonka. On devait être soixante, pas plus, la première avait eu lieu quelques jours auparavant. La Volksbühne a beau avoir ravalé sa façade on sent que les années Castorf - à sa tête depuis 1991 et pas décidé à partir malgré les vague de haine qu'il soulève dans la presse - l'ont marqué. Sur cette belle et large scène arrondie, dans les couloirs marbrés, derrière les vitres, l'heure est au désamour. Et pourtant il n'y a pas si longtemps on criait au génie.
"Dans les trois ans, réputé ou mort" voici la formule légendaire que trouvèrent quelques hommes de théâtre responsables de l'Est de l'Ouest en confiant la direction de la Volksbühne à Frank Castorf en 1991. Depuis 12 ans maintenant, le dernier révolutionnaire de théâtre que la RDA ait produit règne dans cette forteresse à la lisière du quartier artistique au centre de Berlin"... Il est passé de l'excentrique outsider dont le travail était jugé scandaleux, à la position de maitre absolu de toutes les classes. Il a fissuré le mur du jeu traditionnel psycho-réaliste qui était de règle sur les scènes allemandes jusqu'aux années 90. Tous ceux qui arrivèrent après lui ne pouvaient pas faire autrement que de s'orienter à partir de lui... le fait qu'un fils de gérant de quincaillerie devienne directeur de la Volksbühne fut le début d'une réorganisation du paysage théâtral berlinois". Nikolaus Merck dans Alternatives théâtrales.
Aujourd'hui je garde toujours une espèce d'affection pour ce grand bateau à la dérive.
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1. ça se joue ce soir à la Volksühne.
2. Ce blog lui doit bien ça, s'abritant depuis ses débuts derrière son nom et la façade provocatrice d'un OST theater, comme une trace nostalgique d'un esprit alternatif berlinois en perdition.
3. Il y a deux ans avec cette pièce je découvrais la Volksbühne, Frank Castorf, ravie de voir qu'on pouvait aller au théâtre sans comprendre un mot de la langue.
4. Au moment où la pièce sortait à Berlin, le magazine XXI se lançait. Dans son premier numéro l'écrivain Emmanuel Carrère traçait un portrait ciselé et littéraire d'Edouard Limonov, l'auteur de Fuck Off America. L'article est à lire ici.
Donc, pour la Volksbühne, même si récemment rénovée et toujours aussi désespérément désertée, et pour fêter un peu la renaissance printanière de Berlin sur Scène, j'ai fouillé dans mes notes de l'époque, griffonnées sur un cahier comme on faisait avant. Je vous les livre ici.
6 mars 2008. Totalement par hasard j'ai lu il y a deux jours le long et très bel article d'Emmanuel Carrère sur Edouard Limonov paru dans le 1er numéro de XXI. Hier encore j'ai ignorais totalement l'existence. Et voilà que ce soir je suis allée voir une pièce tirée de son roman et de son expérience de l'exil new yorkais (pour cause d'expulsion d'URSS au début des années 80). Limonov c'est un parcours de poète maudit, d'écrivain d'avant-garde lors de son exil parisien qui durera dix ans, de révolutionnaire rouge-brun. A son retour en Russie les choses se politisent, il fonde le parti national-bolchéviste, c'est gros bras, argent douteux, pas peur de la bagarre ni de la confrontation à Poutine. Ca finit quand même dans les geôles. Frank Castorf, patron de la Volksbühne, n'aime rien tant que de se frotter aux personnages à la marge, aux politiquement incorrects, aux personnages douteux et poisseux, aux rebuts de la société. Est-ce pour ça qu'il a préféré jeter Goethe aux oubliettes (il devait monter Faust et deux semaines avant les premières représentations fait parvenir à la presse un dossier de presse Fuck off Goethe et annonce son adaptation de Limonov) et s'attaquer à du méchant, braillard, nauséeux? ébauche, exil, frustration, sexe, premiesr écrits, poésie, vie sombre, du pain bénit pour le metteur en scène. C'est ma première fois avec Castorf, je m'attendais aux ris et au trash. Et je n'ai pas été déçue. Théâtre physique, on éructe, on se délecte des mots crus qu'on crache à la figure, pourquoi pas avec nourriture, on mime la fornication, on bouffe, on bafffre, on crache, on crie, on chante. Avec mes trois mots d'allemand je ne comprends rien mais la rage de Limonov passe, le désespoir de l'exil aussi. Le décor tourne encore. La première a eu lieu hier, et aujourd'hui la salle est à moitié vide. Mais les présents, des jeunes surtout, sont très présents. Applaudissements, rires, cris, manifestations d'enthousiasme, j'ai rarement vu un public aussi impliqué. Je suis contente d'être là au milieu d'eux, j'ai l'impression d'être invitée à une fête où je ne connais personne mais où les gens me sont a priori sympathiques. je me dis qu'il est réjouissant de voir ce genre de spectacles volontairement vulgaire, violent, de mauvais goût, sur l'une des scènes culte de Berlin. La bourgeoisie, on lui crache dessus, on se fout des salles pleines, même quand on s'appelle Castorf et qu'on a plus de soixante ans, on s'en fout des p'tits fours et des soirées de première m'as tu vu. On préfère faire hurler un public jeune dans une salle moitié vide.
Depuis mars 2008, je suis souvent revenue à la Volksbühne et n'ai jamais retrouvé cette folie de la première fois. Mais je ne suis jamais allée revoir Castorf. Pollnesh, Meg Stuart, Marthaler, Gotscheff surtout. La salle est souvent dépeuplée à part pour Dimiter Gotscheff. Dimanche soir j'y étais encore pour une création maison avec la chorégraphe Wanda Golonka. On devait être soixante, pas plus, la première avait eu lieu quelques jours auparavant. La Volksbühne a beau avoir ravalé sa façade on sent que les années Castorf - à sa tête depuis 1991 et pas décidé à partir malgré les vague de haine qu'il soulève dans la presse - l'ont marqué. Sur cette belle et large scène arrondie, dans les couloirs marbrés, derrière les vitres, l'heure est au désamour. Et pourtant il n'y a pas si longtemps on criait au génie.
"Dans les trois ans, réputé ou mort" voici la formule légendaire que trouvèrent quelques hommes de théâtre responsables de l'Est de l'Ouest en confiant la direction de la Volksbühne à Frank Castorf en 1991. Depuis 12 ans maintenant, le dernier révolutionnaire de théâtre que la RDA ait produit règne dans cette forteresse à la lisière du quartier artistique au centre de Berlin"... Il est passé de l'excentrique outsider dont le travail était jugé scandaleux, à la position de maitre absolu de toutes les classes. Il a fissuré le mur du jeu traditionnel psycho-réaliste qui était de règle sur les scènes allemandes jusqu'aux années 90. Tous ceux qui arrivèrent après lui ne pouvaient pas faire autrement que de s'orienter à partir de lui... le fait qu'un fils de gérant de quincaillerie devienne directeur de la Volksbühne fut le début d'une réorganisation du paysage théâtral berlinois". Nikolaus Merck dans Alternatives théâtrales.
Aujourd'hui je garde toujours une espèce d'affection pour ce grand bateau à la dérive.
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mercredi 5 mai 2010
1er mai jusqu'à la nausée




Folklore peut-être, moi-même j'étais bien au spectacle un peu, mais pas que, j'ai défilé aussi trop contente de pouvoir arpenter Kotbusser Damm sans voiture, et puis cette vieille manie indécrottable de me dire que le 1er mai, c'est sacré. Pourtant cette année j'ai eu la nausée. Non pas des Kravalle tant annoncées par Bild et consort, mais de la police allemande. Ce jour là j'ai vu des flics protéger des centaines nazis pendant des heures à l'autre bout de la ville, des flics pleins de bonne volonté pour que ces gens là puissent manifester, cracher leur haine, jouer les gros bras, faire peur à coups de drapeaux noirs et de "Nazi alarm" patché sur leurs blousons. Des milliers de flics ont bouclé un quartier, embarqué violemment des contre-manifestants, "déblayé" la route pour que le folklore nazi berlinois puisse se mettre en marche. En fin de journée à Kreuzberg, les mêmes flics en plus musclés, en plus méchants, chargent à la moindre occasion la manif des "gauchistes", des alternatifs, des désobéissants, des pas dans le rang. Des hélicos au-dessus de nos têtes, des camions à perte de vue, des rangées casquées prêtes à l'attaque. A Neukölln où défilent 10 000 alterno-autonomes, mais aussi et surtout des familles, des sympathisants, des militants, des Turcs, des Français, des punks, des ados, des gamins,... ils sont partout sur les balcons, sur les toits, sur les trottoirs, la Polizei fait tourner ses caméras pour nous prendre en flagrant délit de démonstrationnisme aïgu. Comme si déjà ce droit de défilé n'était déjà plus qu'un vieux souvenir nostalgique, une vieille habitude ringarde et mal vue. "Vous manifestez mais nous savons qui vous êtes, vous voilà fichés". Je joue les étonnées mais j'ai toujours vu faire ça sur toutes les manifs allemandes. Sauf... sauf l'après-midi même à Prenzlauer Berg. Là aucun homme en vert pour recenser les 600 nazis déployés sous leur protection, pas une caméra, pas un appareil photo. A croire qu'ils se connaissent déjà trop bien, ou qu'ils leur font moins peur que les encapuchés mal rasés. Nausée vous dis-je.
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jeudi 18 février 2010
Berlinalement vôtre
samedi 30 janvier 2010
Meilleurs vœux glacés

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mardi 8 décembre 2009
Beak - le son de Bristol

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mardi 1 décembre 2009
Daniel Kahn - Painted Bird ou la "klezmer alienation"

La musique klezmer berlinoise se porte bien. Schmaltz, Painted Bird, Alan Bern et d'autres se produisent régulièrement ici et là. Des Allemands, des Américains beaucoup. Conversation avec un des rares Américains berlinois germanophile/phone, qui parle même le yiddish. L'accordéoniste Daniel Kahn a créé le groupe Painted Bird à Berlin, un sorte de cabaret klezmer anarchiste. Des punks sans guitare électrique, quoi. Ils jouent ce soir sur la mini-scène du Kaffee Burger, un des endroits incontournables pour les groupes de klezmer berlinois. Et c'est seulement 5 euros.
Pourquoi avoir choisi Berlin? A cause de la musique?je ne suis pas sûr d'avoir choisi Berlin, d'une certaine manière Berlin m'a choisi. J'ai été invité ici par Alan Berlin en 2004, puis j'ai emménagé en 2005. J'avais déjà un intérêt pour le théâtre allemand, celui de Brecht, que j'étudiais à la fac. en arrivant ici j'étais très excité à l'idée d'être dans sa ville, de pouvoir aller au Berliner Ensemble et étudier l'allemand. J'avais déjà joué dans des groupes, mais jamais aussi klezmer. Je commençais juste à m'intéresser à la musique klezmer.
Est-ce que Berlin est "the place to be" en matière de musique klezmer?
Je pense que c'est un des endroits où il faut être. Il y a dix ans, c'était certainement le centre de ce genre là, et peut-être y revient-on un peu aujourd'hui. Mais il y a toujours New York, Moscou ou Tel Aviv.
Le yiddish, tu l'as appris ici?
oui, je ne m'y suis mis sérieusement qu'en arrivant à berlin, et en apprenant l'allemand. Très vite je me suis mis à apprendre des chansons en yiddish et à ales traduire. J'ai même pris des cours à un moment. C'est une langue difficile à parler vraiment couramment parce qu'on n'a personne avec qui la parler.
Qu'as tu trouvé à Berlin qu'il n'y avait pas aux States?
Ca me déprimait de vivre aux Etats Unis et j'étais très intéressé par cette ville. Je pense en général qu'il y a un plus grand respect de la culture ici qu'ailleurs, dans tous les cas plus qu'en Amérique.
Tu veux dire ici, en Europe?
Oui, en Europe. Mais Berlin spécialement parce qu'elle ne s'est pas encore embourgeoisée ou commercialisée, la vie n'y est pas aussi chère qu'à Paris. Bien sûr, ça commence. Mais il y a encore quelque chose de particulier, c'est une ville qui n'est pas encore sûre d'elle même. Et c'est ça que j'aime. Il y a vraiment une attitude critique vis à vis de l'histoire.
La musique de Painted Birds est très impliquée politiquement, et développe un humour très noir..
The Painted birds a vraiment été créé pour décelopper ce genre d'idées. Je suppose que la politique joue un grand rôle dans ce qu'on fait. mais je pense à retourner à des chansons d'amour. Les chansons d'amour peuvent aussi être politiques.
Il y a un certain goût de la provoc aussi...
Je ne veux pas simplement appuyer sur des boutons pour le plaisir d'appuyer sur des boutons. Je pense qu'il peut y avoir une sorte de provocation constructive. Avec l'option destructif vous blessez les gens et ils se ferment. Heureusement vous pouvez aussi provoquer quelqu'un en lui faisant se poser des questions et en ouvrant le dialogue. Mais des fois vous devez faire les deux. Je ne veux pas que les gens soient ennuyés par ce qu'on fait. Généralement ça passe très bien, une chanson peut emmner très loin.
Le public réagit-il de la même manière en Allemagne ou aux Etats-Unis? Parce que tu traduis beaucoup sur scène, en expliquant le contexte de chaque morceau.
Bien sûr il y a une différence puisqu'il y a ce problème de langue. C'ets pourquoi on chante souvent en 2 ou 3 langues. Et le public comprendra toujours au moins une de trois, et n'en comprendra pas du tout une. En fait c'est vraiment ça qui m'intéresse, comment les gens écoutent une langue qu'ils ne comprennent pas. Aux Etats Unis les gens ne sont pas bons pour ça. Mais quand je joue en Russie ou en Pologne, les gens excellent à comprendre une gestuelle de la chanson, même s'ils ne comprennent pas les mots. En Allemagne, c'est intéressant parce que les gens comprennent à peu près le yiddish, tellement c'est proche de l'allemand. Les liens entre allemand et yiddish sont très étranges. C'est une relation un peu provocante. Le yiddish a beaucoup à voir aussi avec le russe ou le polonais. Et c'est intéressant de voir à quel point ce langage condense toutes les relations compliquées entre les juifs et les autres cultures européennes. C'est une sorte de passe-passe. Mais néanmoins c'est un beau langage, pour les chansons et la littérature. Pour en revenir avec les réactions, je trouve que les publics sont différents mais de la même manière. Les jeunes et vieux qui sont ouverts d'esprit, sont les même à Jérusalem, St Petersbourg, Boston, la Nouvelle Orléans ou Hildeberg. Et les publics plus conservateurs qui ont des attentes et ne veulent pas déroger de ce qu'ils attendent, sont les mêmes partout. Ce n'est pas tellement une question de classe, plutôt d'opinion politique.
Pourquoi ce titre d'album "Partisan and parasites"?
Je ne sais pas. Je pense que c'est un titre qui sonne mais cela a aussi à voir avec, vous savez, les questions de combat contre le pouvoir, que signifie "être un partisan aujourd'hui".
Et cela signifie quoi?
Ca dépend dans quelle langue. En anglais "être partisan", ça veut dire que vous appartenez à un parti politique. C'est différent d'être "un partisan". Nous avons quelques chansons qui parlent des partisans pendant la guerre. En fait, une. C'est vrai qu'en concert on joue le morceau sur les partisans français de Leonard Cohen que j'adore, mais j'essaie de la mêler à des chasons des partisan en yiddish. Et parasites.... J'ai commencé à écrire cette chanson sur les parasites en pensant à ces vieilles chansons politiques sur les parasites capitalistes et aussi en pensant à toute la propagande antisémite. C'est une sorte de pied de nez, un conte jouant sur l'idée d'un mec parasite. Derrière la question : ne sommes nous pas tous un peu parasites? Cette question de la dépendance.
Ecris-tu tous les textes?
Pas tous. Les chansons yiddish en général c'est du vieux yiddish, à part Duma. Les chansons allemandes sont généralement des vieilles chansons. Toutes celles en anglais sont les miennes, même les vieilles parce que je fais tout le travail de traduction moi même. En concert on fait des reprises, Leonard Cohen, Jeff Berner.
Tu as rencontré tous les musiciens ici?
Michael, le bassiste, on se connaissait avant. On s'est rencontré à la nouvelle Orléans en 2002. Le batteur Anpus, on s'est rencontré ici, il vient de Suède. Bert, notre tromboniste, saxophoniste, clarinettiste, on s'est rencontré ici. Sur le disque il y a aussi beaucoup de gens qui jouent souvent avec nous, Wanja Juk, Kolenko habite en Russie mais on les a rencontrés en festival Klez Canada. Paul Gresse vient d'Erfurt. On . Paul Brody aussi et Frank London je le connais des States.
Et le Rotfront, ton autre groupe, c'est pour le fun?
J'adore jouer avec eux. C'est le groupe de Youri Gourji, un des gars de Russian disko, et nous avons un nouveau disque. Ils sont géniaux et on prend beaucoup de plaisir. Pour moi c'est le meilleur genre de pop, quand elle permet de passer outre l'intellect. Dans la scène folk, ou klezmer, il y a toujours ces questions intellectuelles sur l'authenticité, l'héritage. Dans la pop, et c'est aussi un problème, c'est plutôt une sorte de globalisation, une réduction de toutes les différences dans la facilité. Mais c'est ça qui est bon! Cela efface les frontières et c'est vraiment aussi simple que : est ce que c'est fun, estce que ça marche, est-ce que ça groove, est-ce que ça fait danser, est-ce que les gens aiment. Si tout ça est ok, rien d'autre ne compte. Le meilleur exemple c'est les Rolling Stones. En terme de folk, ils ont tout volé et ce dont ils parlent peut poser problème, mais en terme de pop, ça marche, c'est du putain de rock'n roll. Je crois en ça. Je continue à croire au rock'n roll.
C'est ce qui rend votre musique intéressante quand vous êtes sur scène, ça a un rapport avec la folk traditionnelle mais pas si sérieuse ou académique, il y a une touche très personnelle.
C'est sérieux et pas sérieux. Nous ne sommes pas un groupe klezmer traditionnel. J'adore jouer avec des groupes traditionnels, je trouve la musique très belle. Certains sont très protecteurs et précieux avec cette musique moi je pense que tu peux la mélanger sans qu'elle soit atteinte. C'est quelque chose que j'ai appris du théâtre. Shakespeare supporte de mauvaises interprétations. Vous pouvez jouer Hamlet mise en scène dans un asile psychiatrique ou sur la planète Mars. Ca ne va pas faire de mal à Shakespeare, ça ne va pas porter atteinte à la pièce, vous vous faites juste du mal à vous. Donc avec la musique Klezmer j'ai pas de réflexe protecteur, et je la mixe avec d'autres influences en essayant de le faire respectueusement et intelligemment. Une grande influence pour moi c'est les Pogues. Et je pense qu'en faisant ce disque j'avais envie de faire un disque Pogues. Ils étaient capables de jouer la musique traditionnelle irlandaise avec une attitude totalement punk. Mais ce qu'ils jouent c'est de la musique irlandaise. Ils jouent de vieux morceaux, ils font des reprises, et puis ces morceaux incroyables de Shane Mc Gowan écrites dans la tradition irlandaise mais avec une interpétation contemporaine. Ils ont été une grande influence pour moi. C'est un alcoolique sérieux, qui n'en a rien à foutre de sa personne. J'ai entendu des tas d'histoire sur lui qui ne venait pas sur scène parce qu'il avait trouvé un bar juste à côté, ils l'ont finalement apporté sur scène et il s'est évanoui après deux morceaux et il a fini à l'hôpital. Je n'ai pas envie de finir comme lui, mais putain ce mec écrit encore de sacrés bonnes chansons.
Comment travaillez-vous avec le label Oriente?
C'est un petit label qui s'occupe pas mal de musique klezmer et de tango. C'est dur de trouver un label pour ce genre de musique, très dur. On cherche un distributeur pour l'amérique du nord, on a encore besoin d'une meilleure distribution en France. Mais Oriente ce sont des gens bien qui ont de super goûts et qui nous soutiennent vraiment. C'est pas facile à vendre comme musique parce qu'elle n'est pas facile à décrire. On a essayé en trois mots, on le décrit comme du yiddish punk cabaret, ou klezmer aliénation ou... Mais il n'y a pas de catégorie dans les bacs des magasins de disque pour ça, et la section klezmer n'est sûrement pas la bonne. On est assez stigmatisé quand on joue du klezmer. Je viens de lire un article dans un journal juif anglais. Ca s'appelait : "Eteint le klezmer, allume les Ramones". Et il disait que la vraie musique juive est contemporaine, urbaine, cosmopolite, cynique, sarcastique, avec un accent américain, comme Steely Dan, Leonard Cohen , Bob Dylan et les Ramones, dont j'imagine que la moitié son juifs. Mais vraiment il n'a rien compris, ni au klezmer ni au punk. C'est peut-être vrai que tous les groupes qu'ils citent sont la vraie musique juive, ils ont tous été de grandes sources d'influence pour moi mais ce qu'il ne comprend pas c'est comment tout ça est lié à la musique klezmer. Il n'y a rien de contemporain avec les Ramones, c'était il y a trente ans, et je les aime toujours. Les gens ont des préjugés contre le klezmer, ça les met mal à l'aise, ils pensent que c'est kitsch, faussement enraciné, reconstruit, mais ils ne saisissent pas vraiment son essence. C'est une musique marginale, une scène minuscule et il y a toutes sortes de raisons au fait que les gens ne comprennent pas le yiddish, ne le parlent pas, et ne savent pas comment écouter du klezmer mais je pense juste qu'aucune n'est une bonne. On peut entendre cette musique même sans savoir que c'est du klezmer, et c'est ce qui se passe avec beaucoup de gens. Et c'est du punk aussi. Les Fugs dans les années 60, qui étaient une sorte de groupe punk avaient un morceau qui s'appelait "nothing" : monday nothing, tuesday nothing.... C'est une des meilleurs chansons punk. ET c'est un morceau populaire yiddish. En fait ça s'appelait "bulbes" et c'était une chanson sur les patates. c'était Turi Kopfergerg, c'était des juifs, des anarchistes juifs. Louis Amstrong disait à propos de la musique populaire "tout est musique populaire parce que personne n'a jamais entendu un cheval chanteur". C'est pareil pour la catégorie world music, qu'est ce qui n'est pas world music, je n'aime pas cette catégorie.
Comment vit-on en tant que juif en Allemagne aujourd'hui?
Je suis très conscient d'être juif ici, mais je ne dirai pas que je vis ici en tant que juif. Je ne suis pas religieux, je joue de la musique juive, mais la plupart des gens avec qui je joue ne sont pas juifs et je ne joue pas non en plus en tant que juif. Mais être juif en Allemagne aujourd'hui, c'est mieux qu'être juif en Allemagne.... enfin tu sais, en d'autres temps. Ici t'en viens toujours à penser à ce qui s'est passé peut-être plus que n'importe où ailleurs, mais les Allemands aussi y pensent. Beaucoup de gens en ont marre d'ailleurs. Je comprends ça assez bien. J'ai été élevé avec une éduction de l'héroïsme de l'holocauste, et les Allemands aussi. Nous partageons ça. Et c'est bien de ne pas avoir à y penser en permanence. D'une autre côté c'est important de se souvenir, de se poser des questions sur cette histoire. Mais nous ne nous posons pas toujours les bonnes. Aux Etats-Unis, les juifs me demandent la même chose "Comment peux-tu vivre à Berlin".
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lundi 30 novembre 2009
Symphonie post-industrielle sous la nef du Berghain

Berlin n'arrête jamais, pas même le dimanche soir à l'heure où on aurait envie de se coucher, pas même dans ses temples de la nuit où zonent encore quelques ombres n'ayant pas fermé l'œil depuis 24h. Le Berghain trône au milieu de sa zone industrielle. Pour une fois pas de queue, même si les taxis sont là, en ligne. Le club le plus couru et le plus underground de Berlin invite à son salon électronique. Ce soir l'ex percusionniste/performer des Einstürzende Neubauten, FM Einheit, vient taper du tuyau avec Hans Joachim Irmler aux machines. Le rock noir et industriel des années 80 a laissé place à la musique électronique expérimentale, improvisée, planante et bruyante. FM Einheit martèle toujours le métal avec outils et perceuses, l'heure est toujours à la noirceur, mais le set a viré vieux virtuose de la machine. Les morceaux durent longtemps, installent une ambiance, la musique n'est pas que bruit défouloir ou énergie dévastatrice, elle est lisible, claire, puissante. Ca vous remue les tripes, ça vous remonte par les pieds. Mais ce n'est qu'un avant-goût, une première partie, une mise en bouche. En haut de l'affiche de cette soirée c'est Dälek les rappeurs new yorkais qui balancent autant de son à deux que trois marteaux-piqueurs réunis. C'est frontal, bruyant, violent le flow n'est pas extraordinaire mais l'important c'est l'expérience opressante, une bande son de sensations qui pousse le hip hop au rang de musique expérimentale, poisseuse et sombre. On n'est plus très loin de la désespérance bruitiste des Neubauten. On comprend l'équilibre de la programmation. On a juste mal aux oreilles de tant d'épuisement sonore. Mais que c'était bon.
vendredi 27 novembre 2009
Nir de Volff "Je suis un créateur instable"

Un spectacle sur la plage, c’est pour éloigner l’hiver berlinois?
J’ai grandi à Tel Aviv où les hivers durent huit mois et où il fait au pire entre 18 et 25 degrés, ici, en Europe, particulièrement à Berlin, je dois affronter des hivers longs et froids. Ce n’est pas pour rien que je créé cette pièce en décembre. Au milieu de l’hiver berlinois ce sera comme un morceau de paix et de chaleur pour le public, un peu comme aller au sauna, une sorte de soulagement. Moi-même je ne me fais toujours pas à l’idée de l’hiver berlinois. Je crois que la seule chose qui me fera battre en retraite un jour, c’est la neige, comme les Allemands sur le front russe!!!
Pourquoi ce titre Matkot, qui signifie “beach ball en hébreu?
Au début cela démarre par une plage calme, avec un cocotier, puis on arrive à la réalité : une plage pleine de gens qui font du bruit, écoutent chacun la radio, mangent, chacun vit sa vie. Les jeux de plage créent une sorte de bruit de fond. Depuis quelques années, le Maktot est presque devenu un sport national. Quand on est sur la plage à Tel Aviv, on entend toujours ça en bruit de fond, c’est vraiment dérangeant.
Est-il question des plages allemandes aussi?
Oui, nous sommes aussi allés à Wannsee, où tout était très calme, très différent de Tel Aviv. Moi par exemple, je n’irai jamais me baigner dans cette eau verte et stagnante. Il me faut de l’eau chaude, qui bouge! Il y a plein de cultures de plages différentes, Chuk, qui a travaillé avec moi sur la création, vient de Corée, et elle dit que c’est encore plus fou qu’à Tel Aviv là-bas.
ET des FKK (naturistes, ndlr) il y en aura?
Non je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je n’ai pas de problème avec la nudité, mais ça me gêne un peu cette manière de parquer les gens, les tout nus à part, cela me fait penser à des vaches qu’on rassemble. Je ne me sens pas à l’aise au milieu de tous ces gens à poil.
Vos pièces sont toujours à la frontière de plusieurs arts. Les définiriez vous comme de la danse, de la danse-théâtre (Tanztheater) ou de la performance?
Je ne suis pas un créateur stable. Là je reviens d’une création pour l’opéra de Francfort où j’ai travaillé avec David Lehmann, c’était de la pure chorégraphie. Action, que nous avons joué dans la nouvelle synagogue de Berlin c’était du théâtre et de la performance. Matkot se situe plus entre la danse et la performance. C’est une pièce avec beaucoup de danseurs, de gens inexpérimentés, d’invités surprises. Cela ne traitera pas seulement de la plage, mais aussi de la sensualité d’avoir quelqu’un à côté de soi si près et comment ce la réveille la partie érotique de votre cerveau. Il sera beaucoup question de l’interaction entre les gens, cela reflète ce besoin de contact, souvent quand on va à la plage seul on regarde beaucoup les autres. Vous êtes là et vous pensez à plein d ‘autres choses, pas seulement au soleil et à la baignade. Comment vous êtes touchés par exemple, maintenant on vous propose des massages pour 5 euros qui font plus de mal que de bien ou des cours de méditation. C’est vraiment à propos de tout ça. Cette superficialité.
Long silence...
En fait, je suis très influencé par l’image et le cinéma. Ce que j’aime c’est cette capacité de manier cet art visuel que la danse ne permet pas. Au cinéma il est possible de montrer en même temps deux situations, la réalité et la fiction, le fantasme. Il y a aussi cette capacité à basculer d’une émotion à l’autre en moins d’une seconde que la danse ne permet pas. Sur scène c’est beaucoup plus délicat, on tombe très vite dans le pathétique. Action par exemple racontait la création d’un film tourné dans une synagogue avec Dieu pour scénariste. On a commencé en bas, et on a fini au 3e étage, un peu plus près du ciel, et de Dieu. Il y avait une ligne narrative mais l’idée n’était pas de conduire le spectateur du point A au point Z en utilisant toutes les lettres dans l’ordre, c’était au spectateur de reconstruire lui-même l’histoire.
Comment avez-vous réussi à jouer dans la nouvelle synagogue?
J’ai été très chanceux, c’était la première fois que la synagogue de Berlin s’ouvrait à un spectacle. J’ai insisté longtemps avant d’avoir un rendez-vous avec eux, et puis quand ça s’est fait, ils ont trouvé que c’était la bonne compagnie, au bon moment, dans le bon lieu. Ca a été un grand succès, on a été plein tous les soirs. Cela a été reçu différemment par la critique locale allemande notamment, qui n’a pas trouvé que c’était la bonne pièce dans le bon endroit. Ils jugeaient que cette pièce n’avait rien à voir avec l’histoire du lieu, avec ce passé chargé entre Juifs et Allemands. C’est typiquement allemand de penser comme ça. Mais beaucoup de gens au contraire étaient soulagés que ma pièce ne parle pas de ça.
Vous vivez à Berlin depuis 2003, qu’est-ce qui vous fait rester ici?
L’argent (rires), non....
Ah bon? Mais pourtant Berlin a la réputation d’être pauvre...
Oui mais ça amène les gens à travailler beaucoup. C’est très différent de ce que j’ai pu vivre en Belgique ou en Hollande, où il y a un système pour les artistes, pour les danseurs. Là-bas ils n’ont pas besoin de travailler autant, et cela change le rapport à la création. Ici c’est beaucoup plus dur, tu te lèves le matin en te disant que tu dois survivre.
Vous ne travaillez plus en tant que danseur?
Quand je suis arrivé il y a cinq ans, je faisait partie des Dorky Park de Constanza Macras, j’ai vraiment aimé ça, et j’aimerais vraiment faire encore des choses avec eux mais je n’ai plus le temps pour ça, ni pour danser pour d’autres. En tant que danseur j’avais l’impression d’avoir atteint ce que j’avais à faire, j’en suis arrivé au point où ce que j’ai envie de faire c’est être chorégraphe.
Berlin est-elle une sorte de paradis pour la danse contemporaine?
Je la vois plutôt comme une île artistique dans le monde. Je ne dirai pas que cela concerne seulement la danse. Je suis un peu comme ces acteurs qui n’aiment pas le théâtre, ou ces réalisateurs qui ne vont jamais au cinéma, je m’intéresse peu à la scène de la danse berlinoise. Mais je suis porté par tous les autres courants artistiques, que ce soit les expositions à la Neue National Galerie ou au Martin Gropius Bau, ou le travail des illustrateurs que je suis particulièrement ici. Tout cela est source d’inspiration. Je me sens vraiment ici dans la ville où je dois être. Avant j’avais passé trois ans à Amsterdam, j’étais soutenu financièrement mais ce n’était pas l’endroit où je voulais vivre.
Quels sont vos rapports avec le Dock 11 où sont jouées presque toutes vos pièces?
Ils m’ont toujours soutenu, ils croient vraiment en moi, ils m’ont permis de me lancer dans mes projets, de développer mon art, et de le mûrir. Mais je peux aussi passer du Dock 11 à l’opéra de Francfort. En 2010 je suis invité à Bangkok, également à la Raffinerie de Bruxelles.
Et la France?
J’ai joué récemment à Bordeaux, dans le cadre des Grandes Traversées, c’était vraiment bien. J’avais peur que les langues étrangères soient un problème pour le public français mais maintenant avec les surtitres, ça passe partout.
Matkot, de Nir de Volff/TOTAL BRUTAL, Première ce soir, 20h30, Dock 11, jusqu'au 30 novembre, puis du 4 au 6 décembre. 8-13 euros.
3 Some une de ses premières pièces, grand succès berlinois, rejoue également du 4 au 6 février au Dock 11.. Lire la suite...
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jeudi 26 novembre 2009
Nature Theater of Oklahoma - Cosmique comics

Beau? Non... Touchant? Non plus... Virtuose? Profond? Magique? Soigné? Non, non, non. "No dice" n'est rien de tout ça. NO DICE est tout simplement BARGEOT. Une éloge de la folie douce, du conte cosmique comics, allons enfants de la Grosse Pomme le jour de foire est arrivé. La moustache du cowboy irlandais se décolle, les bouclettes du pirate juif orthodoxe s'accrochent aux lunettes, la bretelle de la rousse en bas résilles s'affole. J'ai l'impression de plonger dans une BD de Crumb ou dans un épisode des Freak Brothers... Les mimiques à contre-temps les yeux grands ouverts, les costumes outranciers fabriqués dans un grenier de grand-mère. Devant moi, dans le public, une belle américaine de 75 ans s'étouffe de rire. Pleins feux sur la scène et dans le public, du néon cru, pas d'entourloupes, le théâtre de bric et de broc n'a besoin que d'un pauvre bout de velours vert pour faire figure de représentation.
A l'entrée on s'est enfilé du soda ricain et des sandwichs au beurre de cacahuète. Cela excite-t-il les Européens gavés de Culture que nous sommes de se pencher sur la troupe du Nature Theater of Oklahoma et en se demandant si c'est ça, la nouvelle sensation new yorkaise performative? Comment le décrire, comment le raccrocher au wagon de ce que nos artistes nous donnent à voir. IMPOSSIBLE. Certes leur nom vient de Kafka, alors oui, allons-y pour le décryptage absurde de notre quotidien. Mais leur culture est autre, plus underground, vraiment, l'art se pratique aux heures perdues, quand le fric est rentré dans les poches, qu'on a payé le loyer, le shit et la picole.
Pas de fausse branlette esthétique, on oublie les jeux de lumière soignés, les décors qui coulissent ou s'envolent, les scénographes, décorateurs, costumiers, petites mains. Ici le patron de la troupe vous tartine de la moutarde-mayo sur votre pain en guise d'intro et vous incite à aller acheter ses T-Shirts. Donc une fois le sandwich avalé, nous voilà quelques uns, une centaine, à savoir qu'on en a pour quatre heures en anglais non sous-titré, pas sûr de savoir à quelle sauce on sera mangé, à moins que le choix peanut butter/gely OU mayo/moutarde soit un avant-goût. La scène est recouverte d'une moquette neutre, un peu moche, au fond des murs blancs genre temporaires, nous sommes dans un bureau open space tout ce qu'il y a de standardisé, dans un coin une plante maigrichonne se meurt et l'horloge décompte les minutes des pauvres spectateurs que nous sommes - enfermés là pour quatre heures.
C'est parti, les cinq acteurs prennent à bras le corps un texte soufflé dans les oreillettes, des conversations banales, qui à force d'être triturées, remaniées, dites et redites, échangées, forment une matière à histoires, celles de nos vies, de la leur, d'une épopée moderne dans la jungle de villes vampirisantes. La pièce avance par la seule force de la parole et des gestes, les corps des acteurs sont le moteur. La matière théâtrale se façonne sous nos yeux, dans un long processus de fabrication. Les corps sont mis à rude épreuve, pas nus non, ni badigeonnés de beurre de cacahuète susmentionné, ni peinturlurés, non simplement tendus par le jeu, la volonté de créer là, ici ce soir, une histoire, de rester connecter aux autres acteurs, de maintenir le flot, de tenir le regard des spectateurs, de satisfaire leur envie d'être étonnés, surpris, conquis.. "Amuse-moi" crie l'un d'entre eux, "Raconte-moi une histoire" supplie l'autre... Il n'est question que de ça dans ce théâtre là, des histoires qu'on se raconte, pour s'amuser, pour se distraire, pour s'évader pour échapper à la réalité. Ou comment la banalité de leurs conversations prises bout à bout peuvent mener à la poésie, une sorte de transcendance cosmique, un échappatoire joyeux. Le Nature Theater Oklaoma a construit sa réputation sur ce jeu du réel. Cette fois-ci No Dice repose sur le matériau brut de plus de cent heures de conversations téléphoniques enregistrées. Discours anecdotiques et pourtant essentiels sur ce que c'est d'être artiste à New York au début du 21e siècle, l'incontournable course à l'argent, aux petits boulots, les envies de gloire ou pas. Par un effet baguette magique du NTO, cette frénésie du quotidien se traduit dans une transe corporelle. Le grand dur en chapeau de cow boy qui trie des dossiers par milliers avant d'aller donner sa voix à une pub quelconque répète avec puissance des gestes taylorisés. Chacun a son langage corporel, des petites phrases qu'il ponctue d'un zigzag du bras, ou d'une torsion du torse. Et puis il y a ces observateurs, pas seulement dans le public, mais aussi sur scène. Un homme habillé en batman avec oreilles de Mickey dont la seule présence muette offre un contrepoint aux logorrhées de ses camarades qui échangent sur Mel Gibson dans Hamlet ou l'assurance maladie. La pop Culture d'une Amérique méprisée et pourtant jalousée nous arrive dans les oreilles. Ca dure quatre heures avec une pause, ça joue avec nos nerfs et nos rires, on nous promet encore mieux après les deux premières heures, on voudrait y croire, on n'est pas nombreux à rester, à peine un tiers, mais cela renforce ce sentiment de faire partie de ce qui se joue là maintenant ce soir. On a fait l'effort, ils le savent. Pourtant la deuxième partie s'annonce laborieuse, les mêmes conversations nous reviennent par d'autres bouches, l'oreillette souffle le texte qui s'éparpille, trébuche, rebondit. Jusqu'à quand raconter CETTE histoire, "ne plus quitter la scène pour ne pas mourir" lance l'un d'entre eux. Pourtant il faut bien partir, les moustaches tombent, les perruques aussi, on se retrouve face à eux, fatigués, renonçant à maintenir encore l'illusion de théâtre, ils n'ont plus alors qu'à venir s'asseoir contre nous, tous près, et nous susurrer les mêmes histoires en tête à tête, à voix douce. Il y a eux, il y a nous, nous sommes réunis, nous avons vécu une histoire, une aventure ensemble. Ils sont beaux et freaks à la fois, ils nous ont entourloupé. On ne pense plus aux quatre heures, ils ont parcouru ce chemin jusqu'à nous. Nous avons répondu en revenant jusqu'à eux.
No Dice joue encore ce soir et demain à la Hau 3, à 19h. Si l'anglais ne vous rebute pas (pas de sous-titre, impro oblige), courez-y!!!
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A l'entrée on s'est enfilé du soda ricain et des sandwichs au beurre de cacahuète. Cela excite-t-il les Européens gavés de Culture que nous sommes de se pencher sur la troupe du Nature Theater of Oklahoma et en se demandant si c'est ça, la nouvelle sensation new yorkaise performative? Comment le décrire, comment le raccrocher au wagon de ce que nos artistes nous donnent à voir. IMPOSSIBLE. Certes leur nom vient de Kafka, alors oui, allons-y pour le décryptage absurde de notre quotidien. Mais leur culture est autre, plus underground, vraiment, l'art se pratique aux heures perdues, quand le fric est rentré dans les poches, qu'on a payé le loyer, le shit et la picole.
Pas de fausse branlette esthétique, on oublie les jeux de lumière soignés, les décors qui coulissent ou s'envolent, les scénographes, décorateurs, costumiers, petites mains. Ici le patron de la troupe vous tartine de la moutarde-mayo sur votre pain en guise d'intro et vous incite à aller acheter ses T-Shirts. Donc une fois le sandwich avalé, nous voilà quelques uns, une centaine, à savoir qu'on en a pour quatre heures en anglais non sous-titré, pas sûr de savoir à quelle sauce on sera mangé, à moins que le choix peanut butter/gely OU mayo/moutarde soit un avant-goût. La scène est recouverte d'une moquette neutre, un peu moche, au fond des murs blancs genre temporaires, nous sommes dans un bureau open space tout ce qu'il y a de standardisé, dans un coin une plante maigrichonne se meurt et l'horloge décompte les minutes des pauvres spectateurs que nous sommes - enfermés là pour quatre heures.
C'est parti, les cinq acteurs prennent à bras le corps un texte soufflé dans les oreillettes, des conversations banales, qui à force d'être triturées, remaniées, dites et redites, échangées, forment une matière à histoires, celles de nos vies, de la leur, d'une épopée moderne dans la jungle de villes vampirisantes. La pièce avance par la seule force de la parole et des gestes, les corps des acteurs sont le moteur. La matière théâtrale se façonne sous nos yeux, dans un long processus de fabrication. Les corps sont mis à rude épreuve, pas nus non, ni badigeonnés de beurre de cacahuète susmentionné, ni peinturlurés, non simplement tendus par le jeu, la volonté de créer là, ici ce soir, une histoire, de rester connecter aux autres acteurs, de maintenir le flot, de tenir le regard des spectateurs, de satisfaire leur envie d'être étonnés, surpris, conquis.. "Amuse-moi" crie l'un d'entre eux, "Raconte-moi une histoire" supplie l'autre... Il n'est question que de ça dans ce théâtre là, des histoires qu'on se raconte, pour s'amuser, pour se distraire, pour s'évader pour échapper à la réalité. Ou comment la banalité de leurs conversations prises bout à bout peuvent mener à la poésie, une sorte de transcendance cosmique, un échappatoire joyeux. Le Nature Theater Oklaoma a construit sa réputation sur ce jeu du réel. Cette fois-ci No Dice repose sur le matériau brut de plus de cent heures de conversations téléphoniques enregistrées. Discours anecdotiques et pourtant essentiels sur ce que c'est d'être artiste à New York au début du 21e siècle, l'incontournable course à l'argent, aux petits boulots, les envies de gloire ou pas. Par un effet baguette magique du NTO, cette frénésie du quotidien se traduit dans une transe corporelle. Le grand dur en chapeau de cow boy qui trie des dossiers par milliers avant d'aller donner sa voix à une pub quelconque répète avec puissance des gestes taylorisés. Chacun a son langage corporel, des petites phrases qu'il ponctue d'un zigzag du bras, ou d'une torsion du torse. Et puis il y a ces observateurs, pas seulement dans le public, mais aussi sur scène. Un homme habillé en batman avec oreilles de Mickey dont la seule présence muette offre un contrepoint aux logorrhées de ses camarades qui échangent sur Mel Gibson dans Hamlet ou l'assurance maladie. La pop Culture d'une Amérique méprisée et pourtant jalousée nous arrive dans les oreilles. Ca dure quatre heures avec une pause, ça joue avec nos nerfs et nos rires, on nous promet encore mieux après les deux premières heures, on voudrait y croire, on n'est pas nombreux à rester, à peine un tiers, mais cela renforce ce sentiment de faire partie de ce qui se joue là maintenant ce soir. On a fait l'effort, ils le savent. Pourtant la deuxième partie s'annonce laborieuse, les mêmes conversations nous reviennent par d'autres bouches, l'oreillette souffle le texte qui s'éparpille, trébuche, rebondit. Jusqu'à quand raconter CETTE histoire, "ne plus quitter la scène pour ne pas mourir" lance l'un d'entre eux. Pourtant il faut bien partir, les moustaches tombent, les perruques aussi, on se retrouve face à eux, fatigués, renonçant à maintenir encore l'illusion de théâtre, ils n'ont plus alors qu'à venir s'asseoir contre nous, tous près, et nous susurrer les mêmes histoires en tête à tête, à voix douce. Il y a eux, il y a nous, nous sommes réunis, nous avons vécu une histoire, une aventure ensemble. Ils sont beaux et freaks à la fois, ils nous ont entourloupé. On ne pense plus aux quatre heures, ils ont parcouru ce chemin jusqu'à nous. Nous avons répondu en revenant jusqu'à eux.
No Dice joue encore ce soir et demain à la Hau 3, à 19h. Si l'anglais ne vous rebute pas (pas de sous-titre, impro oblige), courez-y!!!
mercredi 25 novembre 2009
Reprise de souffle
Et je n'ai plus suivi le rythme... Parfois d'autres choses arrivent, prennent le dessus
des voyages - Prague, Hambourg -
des amis,
du travail
une envie de dé-connecter
J'ai donc vu, entendu, rencontré beaucoup ces dernières semaines sans avoir le réflexe d'aller le partager ici. Reprise de souffle cybernétique, période de jeûne médiatique, mais qui nécessitera quelques retours, notamment sur ce très beau Tanzkongress de Hambourg qui a offert un temps de parole précieux à la danse contemporaine.
Pour revenir à l'agenda berlinois, lundi soir, j'ai manqué la première du Mariage de Maria Braun, la nouvelle création d'Ostermeier à la Schaubühne mais ça se rattrapera fin décembre.
Pour faire vite, il faut aller faire un tour à la Hau cette semaine, pour plusieurs raisons:
1. le Nature Theater of Oklaoma y fait une visite. Ce soir je vais y voir No Dice (Hau 3), 3h30 de spectacle dont je n'ai pas trop voulu décrypter le contenu. Pour la surprise.
2. jusqu'à samedi et dès ce soir, Jeremy Wade à la Hau 2.
3. Toujours à la Hau la semaine prochaine Photo Romance et Lola Arias.
Je serai aussi demain soir à la Volksbühne pour Meg Stuart et son "Do Animal cry". A noter dans les agendas encore la nouvelle création Matkot de TOTAL BRUTAL et Nir de Volff, dès vendredi au Dock 11, on y reviendra sur ce site avec une longue interview de l'intéressé.
Lire la suite...
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du travail
une envie de dé-connecter
J'ai donc vu, entendu, rencontré beaucoup ces dernières semaines sans avoir le réflexe d'aller le partager ici. Reprise de souffle cybernétique, période de jeûne médiatique, mais qui nécessitera quelques retours, notamment sur ce très beau Tanzkongress de Hambourg qui a offert un temps de parole précieux à la danse contemporaine.
Pour revenir à l'agenda berlinois, lundi soir, j'ai manqué la première du Mariage de Maria Braun, la nouvelle création d'Ostermeier à la Schaubühne mais ça se rattrapera fin décembre.
Pour faire vite, il faut aller faire un tour à la Hau cette semaine, pour plusieurs raisons:
1. le Nature Theater of Oklaoma y fait une visite. Ce soir je vais y voir No Dice (Hau 3), 3h30 de spectacle dont je n'ai pas trop voulu décrypter le contenu. Pour la surprise.
2. jusqu'à samedi et dès ce soir, Jeremy Wade à la Hau 2.
3. Toujours à la Hau la semaine prochaine Photo Romance et Lola Arias.
Je serai aussi demain soir à la Volksbühne pour Meg Stuart et son "Do Animal cry". A noter dans les agendas encore la nouvelle création Matkot de TOTAL BRUTAL et Nir de Volff, dès vendredi au Dock 11, on y reviendra sur ce site avec une longue interview de l'intéressé.
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