Mercredi soir, je sors du Prater sous la pluie avec un p'tit coup de blues, pas forcément dû à la grisaille berlinoise. Je viens de voir la Busta, de Spiro Scimone, une pièce d'à peine une heure qui ne se regarde pas sans un frisson de dépression. L'Italie n'en finit pas d'annoncer son déclin. Pas un spectacle, pas un ami italien, pas un film qui ne parle de l'inexorable descente dans la médiocrité et l'abêtissement d'un peuple cerné par la mafia, le libéralisme, le beaufisme, et surtout le berlusconisme. La culture italienne survit on ne sait comment et le peu de productions qui nous parviennent transpirent la noirceur. La Busta n'est pas directement reliée à la politique italienne. Cela pourrait se passer ici, ailleurs, partout. Une histoire de pouvoir et de soumission. Une fable perverse et kafkaïenne qui déverse sur nous une floppée d'arbitraire. La pièce écrite, produite, mise en scène et jouée par le duo Scimone-Sfarmeli, ouvrait le festival Italienischer Theater Herbst (l'automne du théâtre italien) au Prater de la Volksbühne. La langue est belle. C'est celle d'un auteur sicilien d'aujourd'hui qui pour la première fois écrit en italien. Je goûte le plaisir de sonorités familières, latines, jette un œil distrait aux surtitres allemands. Sur scène le couple Scipone/ Sfarmeli joue le burlesque, un peu à la manière du théâtre de Marthaler. Ici l'acteur est au centre, lui seul insuffle l'énergie, le souffle, le rythme. Le texte construit sous forme de joutes verbales joue des effets comiques, désamorce la violence, en apparence. Tout autour le mur de béton craquelé nous enferme, comme une prison, une cellule. Une échelle nous fait comprendre que nous sommes ici dans la cave, les coulisses du pouvoir, les bas-fonds. Nous, spectateurs, sommes condamnés à regarder d'en bas, ce qui se passe derrière le mur, au-dessus de nos têtes, à l'abri de nos regards et de nos consciences. Cris aigus, frissons, on ne voit rien, mais on entend encore.
La Busta c'est l'enveloppe. Celle que reçoit un matin un homme qui n'a rien à se reprocher. Elle vient du Président. Il veut le rencontrer, il se retrouve face à son secrétaire bouffon, petit chef arrogant, stupide, qui lui demande d'attendre. Evidemment le régime trouvera bien quelque chose à lui mettre sur le dos. Dans ce monde du mensonge, l'absurde théâtrale vient nous arracher des sourires. Le monde de la Busta n'a plus de morale ni d'ordre, on y donne des leçons de démocratie à coups de matraques, les chômeurs n'ont plus d'autre chose à faire qu'errer dans les rues ou passer des heures à la fenêtre. Mais qui sait si demain cela aussi ne sera pas interdit? La fable est noire, très noire. Comme mes amis italiens exilés à Berlin, comme toute oeuvre culturelle qui m'arrive d'un pays où l'espoir ne semble plus permis avant longtemps.
Le festival Italienischer Theaterherbst se poursuit jusqu'au 23 novembre.
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