Andreas Kriegenburg a choisi le chef d’œuvre de Joseph Conrad “Au coeur des ténèbres”, pour ouvrir la saison du Deutsches Theater. Un voyage en terre africaine, sombre et littéraire, qui malgré quelques images fortes, ne parvient pas à restituer l’intensité du texte. Dans une pièce aux murs nus, sales, un personnage de dos crayonne sur un mur et ânnone des bouts de phrases insensées. Noir, lumière. Un deuxième apparaît, son double, même costume noir, même graffitis, même charabia hâché. Noir, lumière. Et ainsi de suite jusqu’à ce que les six acteurs de Herz der Finsternis soient réunis sur la scène. Dès les premières minutes de la pièce, Andreas Kriegenburg semble saisir toute la folie et la désolation du roman de Joseph Conrad. Quand les corps se sont enfin tous rejoints au collés au mur du fond, l’un d’entre eux se détache. Le visage défait, l’actrice Natali Seelig plante alors ses yeux fiévreux dans ceux du public et raconte dans la peau du capitaine Marlow son voyage en enfer sur le fleuve Congo. Chargé de partir à la rencontre du mystérieux Kurtz, qui au fond de la jungle semble avoir bâti un monde hors de contrôle et s’être approprié le commerce de l’ivoire, Marlow va devoir affronter tous les démons, la solitude, la mort, la folie. Ce sentiment violent d’étrangeté, cet écoeurement du système colonialiste qu’il découvre, nous tombent littéralement dessus lorsque six marionnettes géantes descendent sur scène. Pantins noirs désarticulés, décharnés, squelettes faméliques ils nous regardent de leurs yeux cernés, remuant la tête lentement. Ces corps presque sans vie hanteront longtemps la scène, symboles d’une Afrique pillée, dévastée, ravagée par la guerre et la maladie. Comme pour son Procès de Kafka l’an dernier, Andreas Kriegenburg recourt au procédé du personnage principal joué par tous les acteurs. Démultiplié, et pourtant si seul, Marlow n’en apparaît que plus fragile. Si Natali Seelig porte seule une grande partie de la narration, de larges pans de la pièce sont récités par les six comédiens en même temps. Perchés sur des échelles qui séparent la scène du public, ils font entendre une voix unique comme autant de matelots perdus sur les flots hostiles qui se rassureraient dans un être ensemble désespéré. Malheureusement cette diction chorale n’a pas le souffle espéré, et les voix n’y trouvent pas la juste nuance, disent trop fort, de manière trop agressive, un texte introspectif et philosophique. En adaptant “Au cœur des Ténèbres” pour sa toute première pièce en tant que metteur en scène principal du Deutsches Theater, Andreas Kriegenburg se confronte à deux chefs d’œuvre. Le roman légendaire de Joseph Conrad, écrit en 1899, mais aussi le film coup de poing de Francis Ford Coppola “Apocalypse now”. Comment ne pas penser à Marlon Brando, à son cou démesuré, filmé de dos qui laisse planer le mystère jusqu’au bout, lorsque le personnage de Kurtz apparait boueux, presque nu sur scène? Malheureusement le comédien Markwart Müller-Elmau n’a pas l’épaisseur attendue. Le mystère s’éteint trop vite dans la version de Kriegenburg. Maculés de glaise les acteurs traversent péniblement les épreuves de ce voyage aux enfers. Comme Marlow ils semblent s’être perdus dans un espace trop grand pour eux.
mardi 13 octobre 2009
Au Deutsches Theater Andreas Kriegenburg s'égare au Cœur des ténèbres
Photo Arno Declair
Thème:
Andreas Kriegenburg,
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