C'était au Havre, il y a trois ans. Sans savoir à quoi m'attendre j'étais là dans les rues, comme tout le monde, il faisait un peu froid, c'était en octobre je crois bien. J'attendais un éléphant, une petite fille partie aux Indes, une parade géante. Je me disais ce bain de foule vaut-il vraiment le coup? Que reste t-il de la poésie lorsqu'au milieu de dizaines de milliers de badauds on tente d'apercevoir quelque chose du haut de son mètre 60. Et puis, si, il a suffi d'un seul battement de cils de cette enfant géante de 7 mètres, d'une tête qui se penche tendrement, d'un envol de sa jupe au-dessus des barres de béton du Havre, pour que la magie opère. La petite fille se couchait dans son lit démesuré. Cérémonie intime transportée là, dehors, en plein vent, devant des milliers de gens. C'est pour ça que demain, j'y serai à la première heure, sur cette Schlossplatz encore joliment vide et que j'attendrai qu'ils arrivent, les géants. Il y pourtant quelques agacements devant cette arrivée si médiatisée, si marketisée. "Die Riesen kommen" annoncent depuis des semaines des affiches partout dans la ville. Et alors le Royal où sont vos beaux idéaux lorsque votre parcours vous mène devant la fenêtre des édiles - Klaus Wowereit n'a pas manqué d'inviter Frédéric Mitterrand à regarder la parade depuis le Rathaus-, lorsque vous renoncez aux quartiers populaires pour vous balader dans un Berlin touristique, historique, vide, commercial, où est votre joli grain de folie lorsque l'agence de communication de l'événement twitte, facebooke, tchatte juqu'à écoeurement, propose des séjours "package" train+hôtel, convoque un concours de photo, vend du voyage en bateau sur la Spree, rameute Total et Mercedes pour payer la note (1,6 millions d'euros, zu teuer pour la trop pauvre Berlin) et même un boulanger intéressé qui distribuera 1000 petits pains aux premiers badauds pour lequel l'agence sus-mentionnée convoquait la presse lundi à une séance photo. On n'est pas loin de la caravane du tour de France... Alors, oui, tout ça est gratuit, tout ça est magique, tout ça a de l'allure. On vous invite, vous compagnie française, pour que les Allemands se retrouvent autour de leur fête nationale, et des 20 ans de la chute du mur. Devant la porte de Brandebourg vous allez rejouer les retrouvailles Est-Ouest, devant la mairie vous allez redistribuer des lettres confisquées par la Stasi. De la grande histoire, des pleurs en perspective, de l'émotion à brader. Mais à cette conférence de presse hors normes dans les vieux hangars de Tempelhof Monsieur Courcoult vous n'aviez pas l'air si à l'aise. Vous vous cachiez derrière vos éclats de rire et vos lunettes orange trop grandes. Que les patrons de Total et Mercedes aient fait de beaux discours sur votre art si populaire, vous a même fait rire. Vous vous en fichez bien vous, parce que vous savez qu'à la fin, vous mettrez tout le monde d'accord, que finalement tout ce tintamarre n'aura fait que passer au-dessus de votre tête. Que tout le monde aura le regard qui brille en regardant ces marionnettes géantes si belles. Vous vous en fichez par ce que vous êtes le seul à savoir faire ça, à penser encore l'événement populaire avec de la poésie. Et moi la première j'y serai, les quatre jours, pour y assister encore une fois. Mais peut-être regretterai-je le décor du Havre, l'ambiance dans les bistrots débordant de bière et de chocolat chaud à la tombée de la nuit, toute une ville qui était venue là pour vous voir, sans avoir besoin d'y être convoquée par facebook.
Le royal de luxe joue "Le retour à Berlin" avec ses deux marionnettes géantes du 1er au 4 octobre, de l'Alexanderplatz à la porte de Brandebourg, de Gendarmenmarkt à la Siegesaüle. Plus d'infos sur le site du petit Journal Berlin.
1 commentaire:
Nous aussi on attend avec impatience les géants!
Ce n'est pas la 1ère fois que Royal de Luxe se fait un peu piéger par ses sponsors, en 2006 lors de l'exposition de leurs machines au Grand Palais, le machiniste de la compagnie n'avait pu en empêcher un accès payant. Il avait alors installé un panneau expliquant son désaccord avec la non gratuité de l'exposition, qui "dépouillait les machines de la générosité qui les animait, celle de ceux là même qui les ont révélées au public, les techniciens et comédiens du Royal de Luxe".
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