© Laurent Philippe/
Jusque là le festival m'avait donné à voir des œuvres apaisées, joyeuses, virtoses, même légères. Les soeurs Belaza m'ont envoyé dans une autre dimension avec leur Cri tendu et profond. Leur pièce rayonne de leur énergie rentrée, se propage, rebondit avec une incroyable force muette entêtée. Deux derviches non-tourneuses, icônes intemporelles en jogging qui bouleversent tout d'un balancement de bras."Le cri" s'ouvre dans la pénombre sur une scène vide. On distingue petit à petit les corps de Nacera et Dalila Belaza. Elles prennent leur temps, nous imprègnent d'un doux balancement pendulaire qui ne cessera jusqu'à la fin de la pièce. Elles prennent vraiment leur temps. La gestuelle renvoie à des rites anciens. Les corps des deux danseuses entrent en transe en même temps. Figures gémellaires et pourtant dissociées tant l'impulsion est intime. Un entre soi qui vire à la transe collective. Je ne peux plus les lâcher des yeux. Leurs bras m'hypnotisent, viennent puiser dans mon ventre un cri qui voudrait sortir. Et quelle rage quand enfin leurs pieds s'emballent! Mon esprit a décroché depuis longtemps, leur danse a fait le vide. Merde, c'est par les yeux que ça sort. Rien de triste, rien d'émotionnel. Juste une sensation d'être là, maintenant, en accord avec tout ce que je vois et j'entends : les vibrations de leurs bras, leur colère rentrée, les effluves de soul et d'opéra, de chant arabe et de jazz magistralement mixées dans un double écho. Et je me fous de votre religion, et je me fous de vos inspirations artistiques. Le contexte n'a que faire de ce cri-là. Simplement je l'entends. Il résonne en dedans, porté par l'envol de vos mains, l'inclinaison de vos cous, la luminosité presque douloureuse de vos visages. Le cri n'est une pièce ni épurée, ni ascétique comme cela a été écrit. Nacera Belaza semble juste avoir gommé le superflu, conservé l'essence, le profond. L'écriture chorégraphique a beau être résumée à ce simple balancement, le Cri en appelle à tous les autres arts pour créer un spectacle parfaitement équilibré. Rien n'a été laissé au hasard, ni les silences, ni les noirs. Merveilleux habillage de lumière qui joue des douches comme des rayons qui tombent d'un dôme oriental. Pour nous quitter, les deux soeurs nous laissent avec leurs images projetées sur grand écran. Comme pour couper le lien trop fort par lequel nous étions entrés en communion. Certains diront qu'il ne s'est pas passé grand chose pendant ces 50 minutes C'est vrai. Deux pieds ancrés au sol, deux corps grossièrement masqués par des tenues-uniformes. Et des bras qui balancent. Mais cette simplicité est allée au fond des choses. Et ça n'est pas si fréquent sur une scène.
Il est 21h, le hasard du calendrier du festival m'emmène dix minutes plus tard de l'autre côté du canalpour la pièce de Nicole Beutler. © Anja Beutler
Renversement de propos, opposition des styles. Adieu la sourde tension intérieure. Le sillon creusé dans mon ventre par les soeurs Belaza a du mal à digérer l'univers baroque et foutraque de Nicole Beutler et de sa chorégraphie-opéra. Cela avait pourtant bien commencé par une ouverture dans l'obscurité où s'élève un chant magnifique. Les feux rallumés, la douce introduction est mise à mal par la samba délirante des cinq danseurs. Les fous sont lâchés, étriqués dans leurs habits rococos, mi-cour de Versailles, mi-terrain de football. Entre poses sculpturales, transe rock et délires sexuels, Nicole Beutler nous parle de vie, de mort et de vitalité. Il y a de beaux moment dans ce "Lost is my quiet forever". Dans ce grand déballage d'absurde et de folie, Nicole Beutler joue parfaitement des forces et corps de ses danseurs : Pedro Inés fait preuve d'une générosité sans pareil, Nils Kuiters joue à merveille de son corps si long et si maigre, Carola Bärschtiger offre un magnifique numéro de pleureuse. Dommage que le parti pris baroque emmène Beutler sur des pentes parfois ringardes, dont le numéro solo du ténor Maurits Musch est un must.
mercredi 26 août 2009
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1 commentaire:
Très heureux que ce cri-là soit parvenu jusqu'à toi. Je l'ai vu en mars dernier, le lendemain de la mort de Bashung: http://www.festivalier.net/article-29164128.html
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