Regard curieux sur une capitale en MOUVEMENTS

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jeudi 23 octobre 2008

Festival Spielzeit'europa, une saison en hiver


Spielzeit'europa déroule dès ce soir et jusqu'à la fin janvier des grands noms du théâtre et de la danse européenne : Sidi Larbi Cherkaoui, Luc Bondy ou le Royal de Luxe. Un festival de prestige au long cours qui a attiré l’an dernier 27 000 spectateurs.
Serait-ce pour se mettre en accord avec le rythme nonchalant d'une capitale européenne estampillée "anti-stress" que la programmation du festival Spielzeit'europa prend son temps en quatre mois et "seulement" neuf spectacles? Plus qu'un festival, ce temps fort décline presque une mini-saison théâtrale (« Spielzeit » signifie saison) à la très institutionnelle Haus der Berliner Festspiele, dont la salle peut accueillir 1000 spectateurs. Loin du rythme marathon d'un Avignon, le festival égrène les spectacles les uns après les autres, ne craignant pas les longs temps morts. "Le festival n'a pas de période creuse" rétorque Brigitte Fürle à la tête du festival depuis 2006. "A partir du 7 octobre et jusqu'au 2 février, on produit, on répète et on joue dans le théâtre de façon continue. Ce sont des conditions de travail qui n'existent dans aucun autre festival, c'est un luxe unique en Europe. (…) Nous sommes à l'opposé d'un supermarché de théâtre de tournée.".
L'édition 2008 se lèvera le 23 octobre sur la toute nouvelle création du metteur en scène bulgare Dimiter Gotscheff, arrivé en Allemagne de l'Est dès les années 60, qui aura auparavant répété trois semaines sur place. Il fera de "Das Pulverfass" (la Poudrière) de l'auteur macédonien Dejan Dubovski, une sorte de Balkan blues en onze tableaux, emmené par l'orchestre de Sandy Lopicic. Pouvait-on faire plus européen?
A défaut d'imprimer un rythme intensif, Spielzeit'europa soigne son affiche, regardant plutôt vers le Nord et l’est de l’Europe. Et assume un choix d'artistes établis de la danse et du théâtre, syndrome plutôt rare dans un Berlin obsédé par l'avant-garde. Spielzeit'europa est le plus subventionné des festivals de théâtre berlinois (à hauteur d'1 million d’euros) et cela se voit. Le Royal de Luxe, Sidi Larbi Cherkaoui, Luc Bondy, William Forsythe cette année. Sylvie Guillem, Frédéric Fisbach, le ballet Preljokaj, Alvis Hermanis l'an dernier. Pour Brigitte Fürle, il n'y a de toute façon ""pas d'autres institutions à Berlin capables de programmer ces artistes". Sous–entendu en terme de capacité d'accueil et de budget. Berlin a beau afficher un dynamisme théâtral qui fait souvent envie outre-Rhin, ses théâtres fonctionnent encore comme des troupes, qui jouent de manière stakhanoviste leurs répertoires, laissant peu de place aux productions venues d'ailleurs.

Calé confortablement dans cette case « institutionnel », Spielzeit’europa se laisse parfois parcourir du frisson de la nouveauté. Cette année il devrait venir d’Irlande avec la danse radicale de Michael Keegan-Dolan. Un peu plus âgé que Sidi Larbi Cherkaoui, le chorégraphe irlandais ne connaît pas la même côte d’amour auprès des programmateurs de festivals européens. En France, à peine l’a t-on vu signer l’an dernier à Lyon la chorégraphie de l’opéra « The Rake’s progress » de Robert Lepage. Le succès de Michel Keegan-Dolan et de sa compagnie Fabulous Beast serait-il cantonné aux terres anglo-saxonnes ? Le chorégraphe s’est pourtant imposé comme la figure de la danse irlandaise des cinquante dernières années. Sa reprise du ballet classique Giselle dans une interprétation très trash lui a valu la reconnaissance anglaise. « The Bull », présenté à Berlin est sa dernière production. Le conte épique irlandais dont il s’inspire ne résiste pas longtemps au filtre de son regard grinçant. Avec une énergie cruelle et provocante, il le façonne en comédie humaine grotesque où les imbéciles rivalisent de bassesse et de ridicule. Sans pitié pour ses pairs. Plus poétique et familiale, l'escapade hors les murs du Royal de Luxe et sa "Révolte des mannequins" dans les vitrines du très chic Kadewe. Il y aura encore des fidèles, comme le compositeur et touche à tout Heiner Goebbels, ou le chorégraphe américain installé en Allemagne, William Forsythe. Et pour les grands classiques, la metteur en scène Andrea Breth s’emparera en cinq heures du monumental « Crimes et Châtiments » et Luc Bondy donnera le roi Lear dans une nouvelle traduction.
Comment un festival qui affiche cinq années au compteur peut-il figurer dans les rendez-vous les plus attendus de l’année à Berlin ? C’est qu’il a pris le relais des Festwochen, qui elles-mêmes avaient investi la Freie Volksbühne d’Erwin Piscator, construite en 1963 pour combler un vide dans un Berlin Ouest privé de ses plus grands théâtres. En 2000 Joachim Sartorius avait repris les clés de cette maison laissée à l’abandon depuis la réunification. A Berlin l’histoire procède ainsi par couche et par cycle dans un mouvement de renaissance perpétuel. Comme le mot d’ordre de ces cinquièmes Spielzeit’europa, « Une fin - le début ».

(Article paru dans TGV Magazine d'octobre 2008)

Spielzeit’europa du 23 octobre au 1er février, Berlin, Haus der Berliner Festspiele.
Réservations et programme www.spielzeiteuropa.de ou au 0049 (0)30 254 89 100
Programme :
« Das Pulverfass » - Dimiter Gotscheff du 23 au 31 octobre
« La révolte des mannequins » - Royal de Luxe, du 3 au 10 novembre
« I went to the house but did not enter » - Heiner Goebbels/The Hilliard Ensemble, du 13 au 16 novembre
« The Bull » - Michael Keegan-Dolan/Fabulous Beats Dance Theatre, du 27 au 30 novembre
« Sutra » Sidi Larbi Cherkaoui, du 3 au 6 décembre
« Verbrechen und Strafe » (Crimes et châtiment) – Andrea Breth, du 11 au 14 décembre
The Forsythe Compagny, du 20 au 22 janvier
« Der Lauf zum Meer ein Idyll » - Thorsten Lensing/Jan Hein, du 25 au 27 janvier « König Lear » (Le roi Lear) – Luc Bondy du 29 janvier au 1er février.

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