Mon parcours festivalier devait se terminer samedi soir sur Dave Saint-Pierre à la Volksbühne. "Un peu de tendresse bordel de merde!", promettait du trash, du nu, du cul. Alors, plutôt non. Je préfère le goût corsé et délicat de la soirée Trisha Brown. Pour ceux qui ne connaissent pas, Trisha Brown est LA grande dame de la danse post-moderne américaine, une révolutionnaire devenue institution qui n'en a toujours pas fini de créer. Celle qui dès les années 70, dans la foulée de Merce Cunningham et avec Paxton et Yvonne Rainer au sein du Judson groupe, révolutionnait le mouvement, le rapport au public, à la musique, au narratif. Elle avait à peine 20 ans, New York offrait un terrain de jeu à leurs expérimentations. Au début sans musique et de préférence partout sauf dans un théâtre, Trisha Brown se concentrait sur le geste pur, composant des pièces géométriques abstraites et suffisant à elles-même. Cet été à Paris, ce mois d'août à berlin, la grande dame (aujourd'hui 72 ans), a offert aux spectateurs un regard sur quarante ans de danse. Au programme de Tanz im August, quatre pièces, jouant des allers-retours entre la danse des débuts (années 70) et celle des années 2000. Beauté de la fluidité, du rapport à l'espace, des gestes pensés. Et pas de discours, pas de vidéo, pas de référence cinématographique, pas de costumes extravagants ni de décor coûteux. Une épure qui ne laisse place qu'au geste. ENFIN!!!!!
La soirée s'ouvre sur son légendaire solo, "Accumulation", d'une simplicité stimulante sur le folk très seventies du Uncle John's band. Une pièce fondatrice de la révolution Trisha Brown, basée sur le principe d'ajouter un geste à un autre, puis les répéter jusqu'à construire sous nos yeux, de manière très lisible et simple, la phrase du mouvement. La danseuse plante son regard dans la salle, solide et offerte. Le courant passe immédiatement entre elle et nous, avec une pointe d'humour qui s'épanouit dans un sourire. Délice de comprendre ce que la chorégraphe veut nous dire. Même regard plein d'humour pour la Spanish dance (1973). Cette fois-ci, elles sont cinq danseuses. La première lève les bras dans une pause très "flamenco", se déhanche tout légèrement, avance par pas presque glissés. Un simple contact des hanches enclenche le mouvement chez la prochaine danseuse, et ainsi de suite jusqu'à la fin de "Early Morning rain" repris par Bob Dylan. Un autre solo plus récent, dansée par la très longiligne et élégante Leah Morrisson, réplique jeune de Trisha Brown, "If you could'nt see me", nous cache son visage. Pleins phares sur son dos découvert, ses omoplates, ses épaules. Parfois de profil, jamais de face, la danseuse évolue dans un espace structuré et fragile à la fois où Trisha Brown nous offre une perception nouvelle du corps, dans une rotation à 180°.
Mais là où la chorégraphe américaine nous emballe vraiment, c'est avec PRESENT TENSE, son travail le plus récent de la soirée (2003). Les danseurs sont tous là. Trisha Brown surprend encore, se réinvente autour d'une troupe de danseurs magnifiques qui nous font vibrer d'une émotion ténue. On a déjà vu ce plié face à face, mains jointes, bras tendus. Oui mais pas avec ce léger basculement de la tête qui bouleverse tout l'équilibre de la figure. Trisha Brown travaille sa scène avec papier et crayon, peint, dessine surtout beaucoup. Elle combine les chiffres, construit des phrases abstraites, et pourtant si profondément pensées. C'est précis, épuré, émotionnel. Beau.
Le New York Times a écrit un long article sur ce même programme ici
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