Marjane Satrapi n'est pas comédienne, encore moins politicienne. Pourtant entrer sur cette scène d'un théâtre berlinois plein à craquer n'a nullement l'air intimidée. "Je suis très impressionnée que vous soyez venus aussi nombreux ce soir" dit-elle. On ne la croit pas vraiment. Madame Persepolis est une raconteuse d'histoires. Branchée sur 100000 volts. Nature, un peu brute de décoffrage, le langage acéré, qui excelle dans le "je". Avec la même impertinence, qui nous est désormais familière, de la Marjane de la BD. La faiseuse d'histoires semble n'avoir pas trop menti sur elle dans Persepolis.
Lundi soir, dans l'écrin de la Hau 1, ce qui devait être un très sérieux débat sur « l'Iran et la culture occidentale » organisé par le Centre fédéral pour l’éducation politique (en allemand ça fait encore plus indigeste) s’est vite transformé en one-woman show, un brin égocentrique mais enlevé, nature, devant un public acquis d'avance, issu pour une bonne moitié de la communauté iranienne berlinoise. Mes voisins en sont, ici ce soir pour la voir "en vrai". Pas de déception de ce côté là.
La Satrapi fait pas semblant. Qu'elle soulève son bras pour renifler ses aisselles devant 500 personnes n'enlève rien à son charisme et son charme oriental - longs cheveux noirs, yeux kohlés. Plein d'anecdotes et de digressions, son discours ne perd pourtant jamais le fil d'une pensée claire, toute droite tournée vers la lutte contre la « connerie » qu’elle vienne des mollahs d’Iran ou de George Bush, « l’ignorance » et "les idées reçues", principalement du monde occidental sur les femmes, l’Iran, le Moyen-Orient. Tout passe à l'aune de son humour acéré, mais attention, sans cynisme. "C'est devenu extrêmement cool d'être cynique. C'est signe d'intelligence. Moi je déteste ça".
Autre sujet d'énervement, l'obligation permanente de justifier son art. "Quand on fait de la musique, ou du cinéma, on ne vous demande jamais pourquoi vous chantez ou vous filmez. En bande dessinée vient toujours la question " pourquoi vous n'avez pas plutôt écrit un livre". Mais j'ai écrit un livre ! La bande dessinée est un livre." Egratignant au passage le terme de Grafic novel qui a selon elle "été inventé par les éditeurs pour les gens qui avaient honte de lire de la bande dessinée", elle clame son amour pour un art qui lui permet à la fois de « combiner texte et image », le seul moyen qu’elle ait trouvé pour regarder le monde à travers le spectre de l’humour et du rire.
Pour revenir un tant soit peu au thème du débat, elle fustige toute division "Est et Ouest" du monde, "déteste l'idée d'un clash des cultures", croit en une seule distinction "celle entre les ignorants et les fanatiques, et les autres". "Par exemple, il n'y a vraiment aucun point commun entre moi et un mollah d'Iran. Il n'y a sûrement rien de commun non plus entre bon nombre d'Américains et George Bush. Par contre il y a beaucoup, beaucoup en commun entre un mollah d'Iran et George Bush"! Rires, applaudissements. Elle a la réparie facile Marjane. Mais efficace.
Si elle n'avait pas été dessinatrice, elle aurait été "productrice de cinéma pour gagner beaucoup d'argent et arrêter de travailler", répond-elle, provocatrice à la journaliste débordée par le flot de la bavarde franco-iranienne. En attendant, elle reste tout de même dans le cinéma et dit travailler sur un projet de film. Lundi soir Marjane Satrapi a monologué sans fatiguer. Seul l'appel de la cigarette l'a arrêtée. On aurait pu conclure, grincheux, qu'elle avait encore et encore parlé d'elle, de sa bande dessinée, de son film. On préfère repartir joyeux d'avoir partagé la gouaille et l'esprit d'une femme de son temps. Loin de tout cliché. Loin de tout clinquant.
mercredi 10 septembre 2008
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