Regard curieux sur une capitale en MOUVEMENTS

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mercredi 10 septembre 2008

Le briseur de salaires en rouge de travail

Il y a cinquante ans, Heiner Müller montait "Le briseur de salaires". Sa première pièce, de celle qui parlait encore du quotidien de la RDA, des vélléités de construction d'un monde nouveau sur les ruines fumantes du 3e Reich. L'action se passe en 1948 dans le monde ouvrier. C'est l'histoire connue (et véritable) du travailleur modèle stakhanoviste Hans Garbe. Ici il est Balke. Brecht avait renoncé à en faire une pièce lorsqu'il avait appris que Garbe avait aussi été ouvrier modèle du 3e Reich dans la production de grenades. Müller semble au contraire saisir l'occasion de nous parler de ce Nouveau monde construit avec des hommes de l'Ancien. Une classe ouvrière allemande qui a traversé la première moitié du 20e siècle ballottée du communisme de la première heure à la découverte du socialisme d'Etat, en passant par la case nazisme. Ici on se dit que travailler dans un four ou dans un "char" de l'armée c'est finalement pareil, que le socialisme c'est bien, mais qu'on a quand même une femme et quatre enfants à nourrir. 50 ans plus tard, la pièce résonne encore autrement. Dans le décor post-industriel des Sophiensaele, Kerstin Lenhart et Michale Böhler exhument les notions de travail à l'usine, de cadences, de salaires, de socialisme, de construction d'un monde meilleur. Mais sont-elles réellement dépassées? Ce briseur de salaires, ce stakhanoviste, ce "work-aholic" pour parler plus contemporain, si peu regardant des normes de sécurité pourvu qu'on satisfasse le patron, ces denrées, même les plus basiques, trop chères pour l'ouvrier moyen, ces cadences infernales pour construire un modèle qui ne parvient toujours pas à faire bouillir la marmite, la fuite en avant vers le "produire plus". Le décor tout en carton semble nous rappeler que les bases de ce monde nouveau n'étaient pas si solides. Matière recyclable comme les techniques et les travailleurs.
Les contremaîtres et ouvriers modèles ont beau répéter qu'à produire plus, on construira l'avenir, les ouvriers restent dubitatifs. "C'était mieux sous Hitler" lance l'un deux excédé. Baffe pour réponse.
La trame industrielle sert de matériau dramatique. Au centre un ouvrier maléable et consciencieux se fait détester de ses pairs, devient un traitre à sa classe en se pliant aux conditions les plus insupportables. Mais ce qui fait la chair de cette pièce ce sont ces dialogues vifs, ces rires échangés, ces bières avalées trop vite, ces assiettes trop peu remplies, ces petits renoncements, ces colères. Les metteurs en scène ont fait le choix de l'humour et du burlesque. Le décor n'est pas daté. Les huit acteurs se présentent tous en rouge de travail. On les observe comme dans un ring, d'un regard qui prend un peu de hauteur, de distance historique. Sacrée bande de comédiens, pleins d'énergie et de comique, chanteurs aussi. Le découragement et la fatigue se règlent à coup de bières volées, de gratouillages d'ukulélé et de sifflotage dans une flûte. Ici tout semble transitoire, recyclable, renouvellé. Les ouvriers comme les techniques. Les slogans aussi. "Cette pièce ne vise pas à représenter le combat de l'Ancien et du Nouveau, dont un auteur dramatique ne saurait décider, comme conclu par la victoire du Nouveau avant la chute du dernier rideau : elle vise à le porter dans le nouveau public qui, lui, en décide" écrivait Heiner Müller en introduction du texte. Mission accomplie pour ce nouveau Briseur de salaires.

Der Lohndrücker, jusqu'au 13 septembre, 20h, Sophiensaele, Sophienstraße 18, Mitte, 8-13 euros. www.sophiensaele.com
Photo C.Schnalzger.

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