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vendredi 22 août 2008

Olivier Dubois "La création, c'est la guerre"


Commencer la danse à 23 ans, choisir les chorégraphes les plus controversés (Jan Fabre, Preljocaj), avoir un corps replet aux contours mous, loin des canons du genre. S'en foutre et rayonner. Olivier Dubois faisait déjà office d'ovni en tant qu'interprète. Aujourd'hui il créé. Son dernier objet, Faune(s) a éclaté à la face du public d'Avignon. Révélation "épidermique" pour les uns, "grand n'importe quoi" pour d'autres. Hué et acclamé. Comme l'œuvre dont il s'inspirait, "Après-midi d'un faune" de Vaslav Nijinski. Après sept jours de combat face au public avignonnais, Olivier Dubois ressort sa pièce à Berlin pour Tanz im August.
Comment écrire encore sur une pièce qui a fait couler autant d'encres. Comment écrire et regarder quand on a lu avant d'avoir vu? Je me suis posée la question. Voici la solution, une interview-pirouette qui parle du spectacle, du scandale, de ce qui reste une fois l'hystérie microcosmique avignonnaise passée. Olivier Dubois nous parle de Faune(s) après la tempête, après les cris, après les mots. On s'est rencontré un peu avant midi, le jour de la première berlinoise dans le hall d'un hôtel de standing, impersonnel. Il s'excuse de n'être pas du tout du matin (il est 11h45), corps relâché au fond d'un fauteuil en cuir. Puis la bête reprend du poil quand on parle d'Avignon, les mains s'animent, le corps se redresse. Il est Olivier Dubois, parle parfois de lui à la troisième personne, se défend de se comparer à Nijinski mais quand même "c'est pareil", se délecte encore que "Faune(s)", "tout le monde en parle!". Moi aussi. Pour la chronique j'attendrai son solo "Pour tout l'or du monde", qui passera en fin de festival.

Pourquoi un danseur contemporain choisit-il de réinterpréter une pièce de l'histoire de la danse? Et pourquoi celle-ci?

Olivier Dubois : L'idée de départ n'était pas de réinterpréter "l'après-midi d'un faune, ni de me glisser dans cette pièce de répertoire. J'avais commencé à me questionner sur la place de l'interprète dans mon précédent solo "Pour tout l'or du monde". Ce solo portait sur la valeur marchande du corps, sur les exigences, les attentes, les règles que peut imposer le public sur un interprète et ce jeu qu'on est prêt à accepter de jouer ou non. Avec Faune(s) j'ai porté le questionnement sur l'interprétation, cet entre-deux. Ce moment où on va devoir reproduire, essayer de redonner ce qui nous a été voulu par le directeur, le metteur en scène mais où on est le seul capitaine du bateau.
Je voulais un socle qui racontait déjà un peu ça et, l'après-midi d'un faune était la pièce idéale. Elle a été créée en 1912 au théâtre du Châtelet à un moment de l'histoire de la danse où l'interprète était roi. Il décidait avec qui il voulait travailler, il décidait du rythme, des mouvements. Il décidait de tout. Tout était fait pour eux pour qu'ils puissent ressentir, pour qu'ils puissent s'épanouir. Les pièces étaient au service des interprètes. Quant Nijinski fait cette pièce là, il impose son écriture. Pour l'anecdote, Nijinski propose des rôles à plusieurs danseuses dont une très connue pour le rôle de la Grande nymphe. Elle refuse le rôle en disant "c'est pas possible, je veux pouvoir faire ce que je veux, il me contraint, je ne peux pas développer mon art". Et lui résiste et se sépare d'elle. S'opère alors une bascule, le metteur en scène devient le vrai directeur de la pièce.
La deuxième chose qui m'a intéressé c'est le scandale qui a entouré cette pièce. On a dit que c'était à cause de cette simulation de masturbation. Je crois que le scandale c'était parce que Nijinski c'était l'homme qui sautait plus haut, c'était l'homme qui tournait, c'était le virtuose, celui qui enthousiasmait le public. et à ce moment-là il ne l'a pas fait. Sa proposition était radicale. Il ne répond plus aux attentes du public. Là aussi c'était très lié aux questionnements de mon premier solo : est-ce qu'on est obligé de répondre aux attentes. Nijinski c'était un animal de foire. Et l'animal n'a pas fait son exercice, d'où le rejet et de lui et de la pièce.

Le scandale est-il encore possible aujourd'hui?
Honnêtement, Faune(s) à Avignon, ça a été le bordel! Il y avait 30% qui étaient debout en train d'acclamer et 30% qui huaient, hurlaient "c'est un scandale", "c'est une honte". Dans la presse, on a retrouvé le même type de choses qu'en 1912. Sans prétention aucune parce que je n'ai jamais voulu danser Nijinski. Mais Olivier Dubois c'est aussi quelque chose qu'on voit qui tourne, qui est pareil, qui saute, qui est virtuose, qui est technique. Et là le public n'a pas du tout trouvé ça. Mais je n''ai pas fait ça pour créer le scandale. J'étais le premier surpris.
On est aussi dans une époque, malheureusement assez terrible, où les gens sont dans la consommation directe. Ils doivent savoir à l'avance ce qu'ils vont manger. Ils se disent "S'il ne fait pas ce que j'aime chez lui, alors je ne l'aime pas". C'est un scandale du public avignonnais, pas forcément des professionnels. Quelque part on a envie d'un scandale à cet endroit. Maintenant, je vais porter cette image de sulfureux.

Comment vit-on à la fin d'un spectacle d'être à la fois hué et acclamé?
Ca m'était déjà arrivé en tant qu'interprète chez Jan Fabre. J'ai été agressé dans la rue, sur scène. Mais j'étais très protégé. Là je ne m'attendais pas à ça, j'ai été surpris. Je ne fais pas de la création pour plaire. A Avignon, j'ai vu des gens qui hurlaient qui se disputaient entre eux dans le public. Pour qu'on aime autant et qu'on déteste autant c'est quand même que l'oeuvre pose question. Je dis, pari réussi. Je ne fais pas du easy-listening, ou du easy-watching. Je sais que ça dérange ou ça plait, mais quelque chose passe.
Et puis pour ce qui est de la presse, j'en ai lu la moitié et après j'ai arrêté parce que c'était du n'importe quoi. Tout le monde n'a pas les outils pour comprendre. C'est très rapide, j'arrive très vite (dans le paysage de la danse contemporaine, ndlr), comme un boulet qui explose. Mais je veux pas zapper ces gens là, je les écoute aussi.
La création c'est la guerre, rien d'autre. A Avignon, j'étais un petit soldat chaque jour, j'allais au combat, voilà pourquoi je créé. Je ne l'ai pas fait pour le scandale.
Ce soir, à Berlin, ce sera très différent sûrement. C'est la première en boite noire, dans un théâtre. Les choses vont être très différentes à l'intérieur. En plein air on est complètement livré, offert, il n'y pas ce fameux 4e mur. Le public est sur scène, on n'est pas protégé, l'oeuvre se lit différemment.

Votre Faune(s) se divise en quatre parties, chacune de la même longueur, mise en scène par une personne différente (la metteur en scène Sophie Pérez avec le musicien Xavier Boissiron, le cinéaste Christophe Honoré, la chorégraphe Dominique Brun et Dubois lui-même). Comment avez-vous travaillé avec eux?
L'idée était de me soumettre moi-même à une écriture différente, et de soumettre cette oeuvre, cette question là de l'interprète à d'autres artistes dans des domaines qui ne m'étaient pas proches. Des gens avec qui je n'avais jamais travaillé, que je ne connaissais pas personnellement. La fourberie du projet c'est que, moi je leur fais une proposition, mais eux ne savent pas pourquoi et au bout du compte le tout doit servir une question, qui n'est peut-être pas celle qu'ils posaient eux dans leur pièce. Au final, j'ai tout maîtrisé.

Le solo est-il une forme que vous privilégiez?
Le prochain projet on sera deux, et celui d'après 18! Aujourd'hui je crois que j'arrive au bout de cette période là. C'est très difficile le solo, il faut tout tenir et à la fois on a une liberté folle. C'était un temps d'introspection nécessaire. Il fallait d'abord que j'aille chercher chez moi ce que j'avais à sortir et ensuite le regarder avec de la distance. Ce qui est étonnant c'est qu'à partir du moment où il y aura d'autres personnes, je ne danserai plus. Le duo je le ferai, mais après je ne danserai plus. Je veux travailler avec les corps, avec les histoires de chacun et réapprendre quelque chose. A un moment où il faut savoir prendre la place de la direction artistique.

Vous allez continuer à danser pour les autres?
J'ai encore envie de danser avec les gens. J'ai envie d'expériences fortes et un peu uniques. Ce ne sera pas plus d'une création par an. Je vais être artiste étudiant. J'aime apprendre, j'aime être perdu. J'ai envie de travailler avec des très grands. Me confronter et surtout "me mettre au service". C'est de la contorsion, trouver comment dialoguer, comment rendre l'outil-corps le plus performant possible pour répondre aux attentes de l'oeuvre. Je suis profondément un interprète.

A lire la critique de Faune(s) sur le blog du Tadorne 

Crédit photo : (c) Christophe Sagnes

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