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vendredi 3 octobre 2008

Des plaisirs d'Avant

Revoir. C'est un luxe qu'on devrait s'octroyer plus souvent au théâtre. On le fait bien pour le cinéma, accédant à chaque nouvelle vision d'un film, à un autre niveau de compréhension. Oui, il revient plus cher de revenir au théâtre que de se louer un DVD. Mais le spectacle vivant porte dans son essence même la possibilité de multi-visions, ancré qu'il est dans une représentation de chair, forcément unique et précieuse. A fortiori quand il s'est écoulé six ans entre la création d'un spectacle et le moment où il se rejoue. La pièce porte alors en elle un supplément d'histoire qui est celle de ses interprètes, de son public et de leur rencontre. Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Galet, Juan Cruz Diaz de Garaio Esnaola, Luc Dunberry en étaient au début de leur parcours chorégraphique lorsqu'ils ont créé "D'avant", une pièce écrite à huit mains, même si le chorégraphe et musicien basque y a laissé, plus que les autres encore, son empreinte artistique. Depuis, ils sont devenus des incontournables de la scène contemporaine européenne, avec une longueur d'avance pour Cherkaoui qui avant même ses 30 ans avait atteint le statut de star. Autant dire qu'ils ont changé depuis 2002. Moi aussi. J'avais vu ce spectacle en 2003 à Bordeaux, un an après sa création, lors des Grandes Traversées de Sasha Waltz. J'avais aimé ce mélange de virtuosité et de désinvolture, d'élégance et d'engagement physique, de religiosité et d'irrévérence. C'était un de mes "premiers spectacles" de danse contemporaine. Il m'avait marqué. De mes souvenirs émergeaient surtout les scènes du début, celles où Cherkaoui, dans une attitude christique butée, passe de main en main, objet de toutes les convoitises, agacements, jalousies. Et celle de la fin, quand le décor se démonte (un peu comme dans le Gezeiten de Waltz), où les gestes se calment et où les voix s'élèvent. J'avais en tête la musicalité particulière de ces danseurs chantant et bougeant, dans une polyphonie vocale entre chants moyen-âgeux et imprécations catholico-musulmano-judéo-etc.... Bref j'avais retenu le spirituel, la danse et le chant, l'émotion qui s'en dégage
Exit de ma mémoire la facétie et le jeu. Pourtant, cinq ans plus tard c'est ce qui me frappe le plus dans la pièce. Les quatre danseurs semblent devant mes yeux retrouver une partie de la jeunesse quand ils crient, se jettent avec délectation des objets à la figure, se battent méchamment jusqu'à mordre la poussière, s'étourdissent dans une parodie de chanson disco, se déguisent et s'échangent les vêtements comme des enfants qui auraient échappé au regard de leurs parents. La pièce surgit alors comme une œuvre de jeunesse. Une chorégraphie "d'avant", où le seul contact des quatre corps pouvait suffire à faire sens et jeu. Une rencontre entre deux écoles, celle de la troupe de Waltz à Berlin (Diaz de Garaio Esnaola et Dunberry) et des Ballets C. de la B. de Platel à Bruxelles (Cherkaoui et Jalet), mais aussi entre quatre corps aux formes disparates. Sidi Larbi Cherkaoui, c'est l'élégance d'un corps étiré, l'élasticité, la grâce venue d'en haut. Damien Jalet rayonne de l'énergie brute, mine clownesque et corps puissant. De Juan Cruz Diaz de Garaio Esnaola, on retient le grondement sourd, rentré, planté sur un corps trapu où se cache une âme sombre (je frissonne encore à la vue de son visage tendu, inondé de sueur et pâle au moment des saluts). Luc Dunberry c'est l'équilibre, la pulsion contenue, l'élégance sage d'un chorégraphe et danseur qu'on sent pétri de l'expérience. On prend un plaisir fou à les regarder ainsi se confronter et s'assembler tant D'Avant joue du contact. Presque toute la chorégraphie est suspendue à la rencontre des corps, se construit à l'articulation du mouvement quand deux, trois, quatre corps y participent. D'Avant semble surtout annonciateur de la suite, de l'obsession de Cherkaoui pour la religion et la spiritualité, et surtout de l'ascétisme sévère des créations de Garaio Esnaola. Hier soir c'était peut-être le danseur le moins connecté au groupe, comme s'il ne parvenait plus à retrouver l'énergie du plaisir, comme s'il était parti plus loin que les autres dans une danse devenue sérieuse dont on trouve la résonnance dans sa dernière création Ars Melancholiae. Dans cette pièce sombre il décortique les affres de la mélancholie jusqu'à l'absurde et l'ennui. On y chante encore beaucoup, on s'y meut dans un décor blanc et noir, on y construit des tableaux morbides. On n'y danse plus. Plus comme d'Avant....

D'Avant, les 3 et 4 octobre, 20h, Radial System, 14-18 euros.
Ars Melancholiae sera programmé également au Radial System du au novembre, 20h, 14-18 euros.
Sidi Libi Cherkaoui sera sur la scène de la Haus der Berliner Festspiele du 3 au 6 décembre (dans le cadre de Spielzeit'europa) avec les moines Shaolin pour Sutra.

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