Regard curieux sur une capitale en MOUVEMENTS

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mardi 1 décembre 2009

Daniel Kahn - Painted Bird ou la "klezmer alienation"

Photos (c) Stéphanie Pichon
La musique klezmer berlinoise se porte bien. Schmaltz, Painted Bird, Alan Bern et d'autres se produisent régulièrement ici et là. Des Allemands, des Américains beaucoup. Conversation avec un des rares Américains berlinois germanophile/phone, qui parle même le yiddish. L'accordéoniste Daniel Kahn a créé le groupe Painted Bird à Berlin, un sorte de cabaret klezmer anarchiste. Des punks sans guitare électrique, quoi. Ils jouent ce soir sur la mini-scène du Kaffee Burger, un des endroits incontournables pour les groupes de klezmer berlinois. Et c'est seulement 5 euros.
Pourquoi avoir choisi Berlin? A cause de la musique?
je ne suis pas sûr d'avoir choisi Berlin, d'une certaine manière Berlin m'a choisi. J'ai été invité ici par Alan Berlin en 2004, puis j'ai emménagé en 2005. J'avais déjà un intérêt pour le théâtre allemand, celui de Brecht, que j'étudiais à la fac. en arrivant ici j'étais très excité à l'idée d'être dans sa ville, de pouvoir aller au Berliner Ensemble et étudier l'allemand. J'avais déjà joué dans des groupes, mais jamais aussi klezmer. Je commençais juste à m'intéresser à la musique klezmer.
Est-ce que Berlin est "the place to be" en matière de musique klezmer?
Je pense que c'est un des endroits où il faut être. Il y a dix ans, c'était certainement le centre de ce genre là, et peut-être y revient-on un peu aujourd'hui. Mais il y a toujours New York, Moscou ou Tel Aviv.
Le yiddish, tu l'as appris ici?
oui, je ne m'y suis mis sérieusement qu'en arrivant à berlin, et en apprenant l'allemand. Très vite je me suis mis à apprendre des chansons en yiddish et à ales traduire. J'ai même pris des cours à un moment. C'est une langue difficile à parler vraiment couramment parce qu'on n'a personne avec qui la parler.
Qu'as tu trouvé à Berlin qu'il n'y avait pas aux States?
Ca me déprimait de vivre aux Etats Unis et j'étais très intéressé par cette ville. Je pense en général qu'il y a un plus grand respect de la culture ici qu'ailleurs, dans tous les cas plus qu'en Amérique.
Tu veux dire ici, en Europe?
Oui, en Europe. Mais Berlin spécialement parce qu'elle ne s'est pas encore embourgeoisée ou commercialisée, la vie n'y est pas aussi chère qu'à Paris. Bien sûr, ça commence. Mais il y a encore quelque chose de particulier, c'est une ville qui n'est pas encore sûre d'elle même. Et c'est ça que j'aime. Il y a vraiment une attitude critique vis à vis de l'histoire.
La musique de Painted Birds est très impliquée politiquement, et développe un humour très noir..
The Painted birds a vraiment été créé pour décelopper ce genre d'idées. Je suppose que la politique joue un grand rôle dans ce qu'on fait. mais je pense à retourner à des chansons d'amour. Les chansons d'amour peuvent aussi être politiques.
Il y a un certain goût de la provoc aussi...
Je ne veux pas simplement appuyer sur des boutons pour le plaisir d'appuyer sur des boutons. Je pense qu'il peut y avoir une sorte de provocation constructive. Avec l'option destructif vous blessez les gens et ils se ferment. Heureusement vous pouvez aussi provoquer quelqu'un en lui faisant se poser des questions et en ouvrant le dialogue. Mais des fois vous devez faire les deux. Je ne veux pas que les gens soient ennuyés par ce qu'on fait. Généralement ça passe très bien, une chanson peut emmner très loin.
Le public réagit-il de la même manière en Allemagne ou aux Etats-Unis? Parce que tu traduis beaucoup sur scène, en expliquant le contexte de chaque morceau.
Bien sûr il y a une différence puisqu'il y a ce problème de langue. C'ets pourquoi on chante souvent en 2 ou 3 langues. Et le public comprendra toujours au moins une de trois, et n'en comprendra pas du tout une. En fait c'est vraiment ça qui m'intéresse, comment les gens écoutent une langue qu'ils ne comprennent pas. Aux Etats Unis les gens ne sont pas bons pour ça. Mais quand je joue en Russie ou en Pologne, les gens excellent à comprendre une gestuelle de la chanson, même s'ils ne comprennent pas les mots. En Allemagne, c'est intéressant parce que les gens comprennent à peu près le yiddish, tellement c'est proche de l'allemand. Les liens entre allemand et yiddish sont très étranges. C'est une relation un peu provocante. Le yiddish a beaucoup à voir aussi avec le russe ou le polonais. Et c'est intéressant de voir à quel point ce langage condense toutes les relations compliquées entre les juifs et les autres cultures européennes. C'est une sorte de passe-passe. Mais néanmoins c'est un beau langage, pour les chansons et la littérature. Pour en revenir avec les réactions, je trouve que les publics sont différents mais de la même manière. Les jeunes et vieux qui sont ouverts d'esprit, sont les même à Jérusalem, St Petersbourg, Boston, la Nouvelle Orléans ou Hildeberg. Et les publics plus conservateurs qui ont des attentes et ne veulent pas déroger de ce qu'ils attendent, sont les mêmes partout. Ce n'est pas tellement une question de classe, plutôt d'opinion politique.
Pourquoi ce titre d'album "Partisan and parasites"?
Je ne sais pas. Je pense que c'est un titre qui sonne mais cela a aussi à voir avec, vous savez, les questions de combat contre le pouvoir, que signifie "être un partisan aujourd'hui".
Et cela signifie quoi?
Ca dépend dans quelle langue. En anglais "être partisan", ça veut dire que vous appartenez à un parti politique. C'est différent d'être "un partisan". Nous avons quelques chansons qui parlent des partisans pendant la guerre. En fait, une. C'est vrai qu'en concert on joue le morceau sur les partisans français de Leonard Cohen que j'adore, mais j'essaie de la mêler à des chasons des partisan en yiddish. Et parasites.... J'ai commencé à écrire cette chanson sur les parasites en pensant à ces vieilles chansons politiques sur les parasites capitalistes et aussi en pensant à toute la propagande antisémite. C'est une sorte de pied de nez, un conte jouant sur l'idée d'un mec parasite. Derrière la question : ne sommes nous pas tous un peu parasites? Cette question de la dépendance.
Ecris-tu tous les textes?
Pas tous. Les chansons yiddish en général c'est du vieux yiddish, à part Duma. Les chansons allemandes sont généralement des vieilles chansons. Toutes celles en anglais sont les miennes, même les vieilles parce que je fais tout le travail de traduction moi même. En concert on fait des reprises, Leonard Cohen, Jeff Berner.
Tu as rencontré tous les musiciens ici?
Michael, le bassiste, on se connaissait avant. On s'est rencontré à la nouvelle Orléans en 2002. Le batteur Anpus, on s'est rencontré ici, il vient de Suède. Bert, notre tromboniste, saxophoniste, clarinettiste, on s'est rencontré ici. Sur le disque il y a aussi beaucoup de gens qui jouent souvent avec nous, Wanja Juk, Kolenko habite en Russie mais on les a rencontrés en festival Klez Canada. Paul Gresse vient d'Erfurt. On . Paul Brody aussi et Frank London je le connais des States.
Et le Rotfront, ton autre groupe, c'est pour le fun?
J'adore jouer avec eux. C'est le groupe de Youri Gourji, un des gars de Russian disko, et nous avons un nouveau disque. Ils sont géniaux et on prend beaucoup de plaisir. Pour moi c'est le meilleur genre de pop, quand elle permet de passer outre l'intellect. Dans la scène folk, ou klezmer, il y a toujours ces questions intellectuelles sur l'authenticité, l'héritage. Dans la pop, et c'est aussi un problème, c'est plutôt une sorte de globalisation, une réduction de toutes les différences dans la facilité. Mais c'est ça qui est bon! Cela efface les frontières et c'est vraiment aussi simple que : est ce que c'est fun, estce que ça marche, est-ce que ça groove, est-ce que ça fait danser, est-ce que les gens aiment. Si tout ça est ok, rien d'autre ne compte. Le meilleur exemple c'est les Rolling Stones. En terme de folk, ils ont tout volé et ce dont ils parlent peut poser problème, mais en terme de pop, ça marche, c'est du putain de rock'n roll. Je crois en ça. Je continue à croire au rock'n roll.
C'est ce qui rend votre musique intéressante quand vous êtes sur scène, ça a un rapport avec la folk traditionnelle mais pas si sérieuse ou académique, il y a une touche très personnelle.
C'est sérieux et pas sérieux. Nous ne sommes pas un groupe klezmer traditionnel. J'adore jouer avec des groupes traditionnels, je trouve la musique très belle. Certains sont très protecteurs et précieux avec cette musique moi je pense que tu peux la mélanger sans qu'elle soit atteinte. C'est quelque chose que j'ai appris du théâtre. Shakespeare supporte de mauvaises interprétations. Vous pouvez jouer Hamlet mise en scène dans un asile psychiatrique ou sur la planète Mars. Ca ne va pas faire de mal à Shakespeare, ça ne va pas porter atteinte à la pièce, vous vous faites juste du mal à vous. Donc avec la musique Klezmer j'ai pas de réflexe protecteur, et je la mixe avec d'autres influences en essayant de le faire respectueusement et intelligemment. Une grande influence pour moi c'est les Pogues. Et je pense qu'en faisant ce disque j'avais envie de faire un disque Pogues. Ils étaient capables de jouer la musique traditionnelle irlandaise avec une attitude totalement punk. Mais ce qu'ils jouent c'est de la musique irlandaise. Ils jouent de vieux morceaux, ils font des reprises, et puis ces morceaux incroyables de Shane Mc Gowan écrites dans la tradition irlandaise mais avec une interpétation contemporaine. Ils ont été une grande influence pour moi. C'est un alcoolique sérieux, qui n'en a rien à foutre de sa personne. J'ai entendu des tas d'histoire sur lui qui ne venait pas sur scène parce qu'il avait trouvé un bar juste à côté, ils l'ont finalement apporté sur scène et il s'est évanoui après deux morceaux et il a fini à l'hôpital. Je n'ai pas envie de finir comme lui, mais putain ce mec écrit encore de sacrés bonnes chansons.
Comment travaillez-vous avec le label Oriente?
C'est un petit label qui s'occupe pas mal de musique klezmer et de tango. C'est dur de trouver un label pour ce genre de musique, très dur. On cherche un distributeur pour l'amérique du nord, on a encore besoin d'une meilleure distribution en France. Mais Oriente ce sont des gens bien qui ont de super goûts et qui nous soutiennent vraiment. C'est pas facile à vendre comme musique parce qu'elle n'est pas facile à décrire. On a essayé en trois mots, on le décrit comme du yiddish punk cabaret, ou klezmer aliénation ou... Mais il n'y a pas de catégorie dans les bacs des magasins de disque pour ça, et la section klezmer n'est sûrement pas la bonne. On est assez stigmatisé quand on joue du klezmer. Je viens de lire un article dans un journal juif anglais. Ca s'appelait : "Eteint le klezmer, allume les Ramones". Et il disait que la vraie musique juive est contemporaine, urbaine, cosmopolite, cynique, sarcastique, avec un accent américain, comme Steely Dan, Leonard Cohen , Bob Dylan et les Ramones, dont j'imagine que la moitié son juifs. Mais vraiment il n'a rien compris, ni au klezmer ni au punk. C'est peut-être vrai que tous les groupes qu'ils citent sont la vraie musique juive, ils ont tous été de grandes sources d'influence pour moi mais ce qu'il ne comprend pas c'est comment tout ça est lié à la musique klezmer. Il n'y a rien de contemporain avec les Ramones, c'était il y a trente ans, et je les aime toujours. Les gens ont des préjugés contre le klezmer, ça les met mal à l'aise, ils pensent que c'est kitsch, faussement enraciné, reconstruit, mais ils ne saisissent pas vraiment son essence. C'est une musique marginale, une scène minuscule et il y a toutes sortes de raisons au fait que les gens ne comprennent pas le yiddish, ne le parlent pas, et ne savent pas comment écouter du klezmer mais je pense juste qu'aucune n'est une bonne. On peut entendre cette musique même sans savoir que c'est du klezmer, et c'est ce qui se passe avec beaucoup de gens. Et c'est du punk aussi. Les Fugs dans les années 60, qui étaient une sorte de groupe punk avaient un morceau qui s'appelait "nothing" : monday nothing, tuesday nothing.... C'est une des meilleurs chansons punk. ET c'est un morceau populaire yiddish. En fait ça s'appelait "bulbes" et c'était une chanson sur les patates. c'était Turi Kopfergerg, c'était des juifs, des anarchistes juifs. Louis Amstrong disait à propos de la musique populaire "tout est musique populaire parce que personne n'a jamais entendu un cheval chanteur". C'est pareil pour la catégorie world music, qu'est ce qui n'est pas world music, je n'aime pas cette catégorie.
Comment vit-on en tant que juif en Allemagne aujourd'hui?
Je suis très conscient d'être juif ici, mais je ne dirai pas que je vis ici en tant que juif. Je ne suis pas religieux, je joue de la musique juive, mais la plupart des gens avec qui je joue ne sont pas juifs et je ne joue pas non en plus en tant que juif. Mais être juif en Allemagne aujourd'hui, c'est mieux qu'être juif en Allemagne.... enfin tu sais, en d'autres temps. Ici t'en viens toujours à penser à ce qui s'est passé peut-être plus que n'importe où ailleurs, mais les Allemands aussi y pensent. Beaucoup de gens en ont marre d'ailleurs. Je comprends ça assez bien. J'ai été élevé avec une éduction de l'héroïsme de l'holocauste, et les Allemands aussi. Nous partageons ça. Et c'est bien de ne pas avoir à y penser en permanence. D'une autre côté c'est important de se souvenir, de se poser des questions sur cette histoire. Mais nous ne nous posons pas toujours les bonnes. Aux Etats-Unis, les juifs me demandent la même chose "Comment peux-tu vivre à Berlin"
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