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lundi 19 octobre 2009

No Limits Festival - Anne Tismer, Judith et Lomé

Je revois encore cette actrice, menue, fragile au physique d'adolescente, qui vient sagement faire la queue pour un jus d'orange au bar de la Schaubühne après la représentation. Elle a un bleu à la tempe droite. Elle est encore livide-vide. Son regard n'accroche rien. Nora a fui par la petite porte, bafouée mais victorieuse. Anne Tismer a été grandiose pendant presque deux heures sur la scène de la Schaubühne. Une Maison de Poupée inoubliable, mise en scène par son compagnon Thomas Ostermeier. Deux ans après je la retrouve rayonnante, habillée de cette même simplicité au Ballhaus Ost, dans le cadre du No Limits festival. C'est ici qu'elle a trouvé refuge, du moins qu'elle a laissé derrière elle son habit d'actrice de l'année, sa réputation d'enfant terrible du théâtre allemand. Fini le théâtre pur, l'exposition médiatique. Au Ballhaus Ost, dans une petite rue délabrée de Prenzlauer Berg, au 4e étage d'un théâtre-loft, Anne Tismer laisse enfin éclater ses envies, sans diktat de metteur en scène, sans les codes et règles de l'Ensemble, ce théâtre de troupe à l'allemande qui lui fait horreur. "Les Théâtres d’état sont les héritiers du temps d’Hitler, le directeur de théâtre décide de tout, puis viennent les metteurs en scène les acteurs ne décident de rien, pas du tout libres, et puis tout en bas il y a les actrices. Dans mon premier théatre, on m’a virée très vite, parce que je refusais de faire ce qu’on me demandait". Elle est seule maître à bord, voyage, expérimente, écrit et joue toujours, à la limite, si belle et insaisissable. On la dit taciturne, renfermée, presque autiste. Je la découvre épanouie, souriante, disponible. Elle vient de présenter pour la première fois son projet Judith Lomeeiaahh! monté avec des artistes togolais au printemps et joué ici avec Marc Agbedjidji et Basile Yawanke.Elle y reprend l'histoire biblique de Judith, Nabuchodanosor et Holoferne, dans une fable moderne au milieu de cartons, d'objets de récupération, où Judith s'est transformée en homme noir. "Nous avons monté ce projet en mai dernier à Lomé avec 12 artistes africains. Pour Berlin, je n'ai pas pu faire venir tout le monde ça coûtait trop cher. Mais on a eu des problèmes de visa, Jean Frederic Batasse, un des trois artistes invités n'en a pas eu. Il a du rester à Lomé." Restent Marc et Basil, artistes togolais reconnus dans leur pays mais aussi en Afrique. "Ils ne connaissaient pas l'histoire de Judith. Alors je leur ai raconté l'histoire et on a imaginé comment on pouvait dire chaque scène en une ou deux phrases". Leur Judith Lomeeiaahh résonne aussi de la modernité et des douloureuses relations entre Europe et Afrique. On y entend des choses sur les barrières, le pillage, l'esclavage. Un voyage initiatique vers Babylone. Nous sommes là assis autour d'eux, il n'y a aucun effet de lumière, pas de costume, juste quelques traits peints à même le visage. Les mitraillettes sont en carton, les giclées de sang des pelotes de laine rouge. C'est d'une naïveté déconcertante et même temps il s'en dégage une énvergie vraie, sincère, une pulsion des corps touchante.En parallèle, Anne Tismer est Judith dans une production du Staatstheater de Stutgart. "Quand on m'a demandé d'y jouer, c'était la version de Hebbel. j'ai dit d'accord mais en y ajoutant mes propres textes. Je pensais qu'on pouvait encore travailler sur ce sujet et ajouter d'autres choses plus contemporaines."
Ce spectacle a été présenté dans le cadre du No Limits festival dont le slogan est "franchir les frontières esthétiques, thématiques, sociétales". Un rendez-vous où se croisent artistes professionnels et amateurs, valides et handicapés, donnant à voir un monde artistique de l'étrange, loin de toute normalité. J'ai été très impressionnée jeudi soir par les deux pièces présentées en ouverture du festival.
Le chorégraphe coréen Nam Jin Kin, danseur entre autres pour les Ballets C. de la B., Meg Stuart, Rui Horta et Sidi Larbi Cherkaoui, a présenté deux duos, le premier avec une jeune femme "Story of B". Une histoire de rencontre, de frustration, de solitude, un beau moment de danse violent et doux à la fois où les deux corps se cherchent sans jamais trouver l'issue. Dans le deuxième morceau "Brother" Namjin Kim danse avec son frère handicapé Sung Gook. C'est magnifique. Très vite la peur de l'exploitation émotionnelle s'éloigne, Sung Gook avec son corps dégingandé, ses pieds en dedans, ses mouvements saccadés, danse vraiment. Il joue, accompagne la chorégraphie de son frère, lui vole la vedette dans des transes explosives. Namjin Kin offre un moment d'intimité où il confesse la violence, l'agacement, la tristesse, les joies simples aussi. Son frère n'est jamais un faire-valoir artistique, mais un acteur véritable d'une pièce que l'on peut appeler duo. Les deux musiciennes qui accompagnent les danseurs sont sublimes également.
No limits festival continue encore jusqu'au 25 octobre, on suggère de ne pas rater entre autres la venue de Mat Fraser ce week-end.

Anne Tismer pour aller plus loin :
Anne Tismer jouera en France le 21 octobre, au centre culturel de Taverny (95) le spectacle mis en scène par Lars Noren "20 novembre". Et les 4 et 5 février 2010 à Valence, au Théâtre de la ville, avec "Négresse" de Franz Xaver Kroetz.
Un portrait dans la Libre Belgique en mars dernier
Une longue interview remontant à 2004 (en allemand) parue dans Die Zeit

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