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mardi 24 mars 2009

Internationales Autorenfestival (1) DRITTE GENERATION sans langue de bois

"Creuser bien profond et se salir" disait le "motto" du festival. Pas de doute Yael Ronen y a mis les deux mains et les tripes, remuant la terre encore fraiche de l'histoire germano-israélo-palestinienne. EXPLOSIF. "Dritte Generation" (la troisième génération) sonne comme une thérapie de groupe abrasive, une logorrhée violemment réjouissante. Puisque cette histoire est si délicate, sensible, violente, ne restons surtout pas muets semble s'être dit la jeune metteur en scène israélienne. Déversons nos flots de préjugés, de ressentiments, convoquons les morts, les victimes et les bourreaux, n'érigeons aucun tabou, dérangeons le public. Pour cela elle travaille depuis un an avec dix acteurs trentenaires Allemands, Israéliens, Palestiniens. Leurs histoires personnelles ont servi de terreau à l'exhumation de la grande histoire. Ils sont la troisième génération, leurs grands-parents sont les référents, ceux qui ont vécu l'Allemagne nazie, la Shoah ou la Naqba. Comment vivent-ils aujourd'hui un passé lourd et toujours présent, comment se définit-on par rapport à l'histoire de son pays, à quel point est-elle subie, digérée, instrumentalisée, comment peut-on dès lors regarder l'autre à travers ce prisme imposé?
Avant que la pièce ne commence, Niels apparait seul en scène, s'adresse directement au public (allemand). Et s'excuse, s'excuse, s'excuse. "Au nom du peuple allemand" pour l'Holocauste et tout le reste. Y a t-il des juifs dans la salle? Oui. "Je voulais particulièrement leur souhaiter la bienvenue ce soir". Y a t-il des Turcs dans la salle. Oui, "je voulais m'excuser pour les conditions d'accueil des Gastarbeiter". Des Roms? Des homosexuels? La dernière volée sera pour les "citoyens de l'Est". "Ne soyez pas effrayés si la majorité de la pièce est en anglais. Nous avons mis des surtitres pour vous. J'espère seulement qu'ils ne défileront pas trop vite..." Eclats de rire. Private joke entre Ossis et Wessis.
Dès lors le détournement de politiquement correct sera le moteur de la pièce. On y entendra tout et son contraire. Et autant énoncer clairement toutes les idées reçues et clichés, les pensées racistes les plus grossières mais aussi les plus refoulées. Ces acteurs ne sont pas là pour dire LA vérité mais crier les ressentis de chacun, les visions forcément différentes, souvent opposées. Les premières générations se sont trop tues, hurlent ces trentenaires. Ou alors ont parlé à coups de propagande. Voilà enfin l'occasion de se dire en face les pires horreurs. Sur scène les dix chaises en arc de cercle semblent forcer à s'écouter et se regarder. Quand les propos se font trop violents, certains tournent le dos. La confrontation comme unique issue. En s'entre-choquant les mots semblent s'effriter, perdre leur pouvoir de propagande, redevenir expression. Mais il n'en sortira ni vérité, ni empathie. Comme si l'on pouvait encore discuter des jours et des jours de la souffrance des uns, la culpabilité des autres, sans jamais parvenir à se comprendre totalement . Mais cela est-il souhaitable finalement? Ne fait-on pas trop souvent semblant de comprendre? Dans un long monologue Orit, une des actrices israéliennes, tente d'articuler tous les arguments en un seul discours. Tout s'effrite, rien ne tient et pourtant tout ce qu'elle énonce est vrai. Désespérant? Non, parce que Dritte Generation est avant tout du théâtre. Yael Ronen ne laisse jamais les arguments s'éterniser. Une pirouette, un trait d'humour, une grimace finissent toujours par nous libérer de la violence des mots. Exemple.
"Les juifs orthodoxes détestent les juifs sionistes; les juifs sionistes détestent les Arabes. Les Arabes détestent tous les Juifs. Les arabes musulmans détestent les arabes chrétiens. Les Européens détestent les musulmans - et les juifs! - et le monde entier déteste les Allemands, MAIS vous devez vous rappeler que même les Allemands sont des êtres humains... exactement comme les Belges...."
Niels Brosman est absolument hilarant en bouc émissaire allemand, Ayelet Robinson parfaite en adolescente israélienne en visite dans les camps de concentration en Pologne : "Auschwitz c'est vraiment le mieux, Treblinka il n'y a plus rien à voir". Et je ne vous parle même pas des chansons-boyscout-coin-du feu à la gloire de l'armée israélienne...
La pièce avait fait scandale à Tel Aviv. A Berlin, un représentant de la communauté juive vient de demander à la Schaubühne d'annuler les représentations. En tant que survivant de l'Holocauste Isaak Behar se sent - sans avoir vu la pièce - insulté, estimant que la création artistique doit aussi avoir des limites. "Ne peuvent-ils pas attendre encore quelques années que les derniers survivants aient disparu"? Apparemment non. Dritte Generation ne parle pas d'autre chose que de ce silence trop longtemps forcé. Cette troupe a fait le choix de ne plus se taire, ni d'accepter le chantage historique des aînés. "La grande force de ce travail c'est qu'il convertit en mots tout type de position" clame Thomas Ostermeier, patron de la Schaubühne. La parole qui en émerge est libre, et forcément violente. Mais blessante, non. Le public n'est pas non plus en reste. On lui hurle du "nazis" à la face, on lui demande ce qu'il vient chercher là, en regardant cette troupe si joliment estampillée "interculturelle"? Eux-même ne jouent-ils pas dans cette pièce pour leur carrière et l'argent alors que la guerre a toujours lieu là-bas, en ce moment? Malaise.
Je me souviens de cette pièce d'Akram Khan, Bahok qui explorait aussi le thème de l'autre, de l'exil, de la confrontation des histoires, et nous emmenait dans les chemins très policés du "multikulti" comme ils disent ici. Akram Kahn avait opté pour une version sans saveur, proprette du choc des cultures. Ici nous sommes à l'opposé. Il n'y a finalement pas de solution, ni de happy end. Juste un déversement de discours de tous bords qu'on affronte pour une fois en une unité de lieu. Thérapie de groupe? Récemment je me suis retrouvé dans un vieux bar de quartier Kreuzberg où, pour une fois à Berlin, toutes les communautés se côtoient autour d'une bière et d'un baby foot. Palestiniens, Libanais, Turcs, Allemands, Africains, Français. Les uns et les autres se bousculant dans un espace minuscule. Ils se connaissent tous. Et se détestent ouvertement. Un Palestinien me sort "ich hasse Nigger" en voyant passer un noir à côté de nous et en me montrant sa longue cicatrice qui lui court sur l'avant-bras. Un Libanais athée (c'est lui qui précise) vient me mettre en garde après que j'ai parlé à une vieux théatreux berlinois et dont je n'ai pas tout de suite noté la croix de David autour du cou. "Ne lui parle pas, il n'est pas réglo" me glisse t-il. Ainsi va le monde me suis-je dit. Ces gens se détestent, le disent tout haut, et échouent quand même tous les samedis soirs dans le même rade pour boire la même bière. C'est déjà un début.

"Dritte Generation"
de Yael Ronen & the Company
Avec : Knut Berger, Niels Brosman, Karsten Dahlem, Ishay Golan, George Iskandar, Orit Nahmias, Rawda, Ayelet Robinson, Judith Strößenreuter, Yousef Sweid.
La pièce est encore jouée ce soir à 21h. Autres représentations les 3, 4 et 5 avril, 20h, 6-28 euros.
Photo
© Heiko Schäfer

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