Regard curieux sur une capitale en MOUVEMENTS

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vendredi 7 novembre 2008

Wadji Mouawad entre au répertoire de la Schaubühne


"C'était bien avant les invasions,
Avant la bassesse des chefs,
Avant les enlèvements
Avant les énigmes,
Avant les héros,
Les sacrifices,
Le sang.

Un homme ouvre les yeux au miieu de la nuit,
Tiré de son sommeil par un tourment indicible.
Quelque chose est là.
Quelque chose l'observe.
Quelque chose le scrute.
Il se redresse mais ne voit rien.
Se tourne mais ne perçoit rien.
"Qui est là?"
Le grand silence de la profondeur.
Une ombre cachée dans l'ombre le fixe.
Il ne la voit pas mais sent sa présence.
Quelque chose d'immense le regarde sans se montrer.
Il y a
Il y a."

Il y a le soleil et la mort. Il y a Chadmos, Laïos et Oedipe, par delà les époques, les mythes et les dramaturges grecs. Il y a les malédictions, les oracles et le sang. Il y a la Phénicie et Thèbes. Il y a le Liban Bordeaux et le Québec. Il y a Wadji Mouawad et Dominique Pitoiset. "Der Sonne und dem Tod kann nicht ins Auge sehen" (en français Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face) est entré la semaine dernière au répertoire de la Schaubühne, à Berlin.
Une pièce écrite par le dramaturge en vogue (et prochain artiste associé d'Avignon) Wadji Mouawad, qui a pour particularité d'avoir été commandée, désirée, espérée par Dominique Pitoiset, metteur en scène et directeur du TnBa de Bordeaux. Ce dernier avait depuis longtemps en tête une épopée antique, puisant aux sources de l'Europe et du Moyen-Orient, de la culture qui nous relie, des mythes et des tragédies. Il pensait à un texte qui prendrait Œdipe comme point de départ et explorerait la voie de ses descendants. L'auteur libano-québécois a préféré accoucher d’un texte revenant aux origines de Thèbe, piochant parmi les ancêtres de la mythologie, ceux d'avant d’Œdipe : Cadmos, l’arrière-arrière grand-père, frère d'Europe, fondateur de Thèbes et Laios, le père, détruit par son désir pour les jeunes enfants. Enfin Œdipe lui-même. Tous portent en eux une malédiction. Tous affrontent la violence, la guerre, le désir et le sang. Tous se posent la question de l’identité.
Au commencement est une nuit, et un homme qui sent que « quelque chose d’immense le regarde sans se montrer ». Au commencement est la fuite de Cadmos loin des rivages ravagés de sa Phénicie natale (le sud du Liban actuel) sur les traces de sa soeur Europe, enlevée par Zeus. Avec Thèbes pour horizon, pour Utopie. Le même exil que connut Wadji Mouawad à dix ans, poussé hors du Liban par une guerre dont les soubresauts agitent encore le petit pays. De l’autre côté de la mer, non pas Thèbes, mais le Québec. 
Pour la version française, montée pour la première fois en mai à Bordeaux, Dominique Pitoiset avait choisi de confier la trentaine de personnages à trois comédiens et d'utiliser vidéo, marionnettes, et dessin animé pour habiller une mise en scène sèche. A Berlin, où le metteur en scène est venu travailler en octobre dans les locaux de la Schaubühne, il a fait appel à six comédiens allemands et oublié le théâtre d'objet. Rien ne vient plus distraire le spectateur du texte et du jeu. Dans une distribution qui laisse aussi place aux jeunes acteurs, Bettina et Ulrich Hoppe brillent d'une intensité plus forte que les autres. Peut-être l'expérience... Un peu cruel, Dominique Pitoiset semble avoir laissé cette pièce livrée à elle -même ou plutôt au talent et à la force des acteurs qui l'animent de bout en bout, chacun avec leur moyens. Mais cela ne suffit pas à animer un plateau baigné dans une lumière froide où seuls un vieux sofa et une table de cuisine font décor. Au souffle lyrique du texte du Libanais, Pitoiset oppose une forme très contemporaine, volontairement terre à terre, presque terne. Tous les acteurs portent sweats à capuche et vêtements passe-partout. Pas de maquillage, pas de fard, peu de mouvements. Quelques clins d'œil comme cet Œdipe s'allongeant sur le divan, ou la Sphinge sobrement mimée. Il y a dans cette mise en scène sans beauté, désincarnée, un effacement presque révérencieux devant les mots, certes magnifiques, de Wadji Mouawad. Comme si le texte seul devait frapper les esprits...
« Je vous vois
Moi mort
Vous soleil.
Face à face
Impossible.
Le soleil ni la mort
Ne peuvent se regarder en face
Visage à visage
Sans brûler l’un
Eteindre l’autre ».

C'est le cas. Mais il n'est pas demandé à un metteur en scène d'abandonner ses acteurs et de les laisser seuls face au mot. Encore moins les spectateurs.


« Der Sonne und dem Tod kann man nicht ins Auge sehen » de Wadji Mouawad, mise en scène Dominique Pitoiset, en allemand, représentations les 9, 12, 15, 17, 18 et 25 novembre, 20h30, Studio, Schaubühne, 8-13 euros. www.schaubuehne.de


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